Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

284 c.ouser au Parti de leurs propres deniers, ayant eu la chance de travailler dans des entreprises prospères, fussent-elles de Parvus. Un docu1nent inattendu publié en 1953 dans un Leninski Sbornik (n° XXXVI) éclaire quelque peu la question. C'est une longue lettre de Lénine qui, en décembre 1917, tance vertement le Comité central pour avoir refusé de désigner Ganetski comme représentant politique à Stockholm, lui reprochant (au Comité central) _de céder à une campagne bourgeoise de calomnies contre un camarade irréprochable. Ganetski, écrit-il, « a gagné sa vie dans une firme commerciale dont Parvus était actionnaire. Ce que m'a dit Ganetski. Ce n'est pas démenti. Est-il interdit de travailler dans des entreprises commerciales des capitalistes ? Où cela ? Par quelles décisions du Parti ? Parmi nous, n'y en a-t-il pas qui ont travaillé pour des firmes de capitalistes russes, anglais et autres ? » etc. On voit là que le Comité central, pour la deuxième fois, veille jalousement à la réputation du Parti : le nom de Ganetski ayant été mêlé à un scandale, inutile de ranimer cette fâcheuse histoire. L'authenticité de la lettre de Lénine n'est pas douteuse, son accent de conviction non plus. Par conséquent il faut penser que si argent allemand il y eut, le Comité central n'était pas dans le secret, connu de Lénine seul 8 • Invraisemblance, car il eût fallu des complices, donc des hommes archi-sûrs, éprouvés de longue date, et autres que ceux du Comité central. Lesquels? Lénine avait connu Ganetski depuis des années par intermittence, il le tenait en grande estime, mais de là à la confidence dans une conspiration aussi secrète et scabreuse, il y a loin. Les deux hommes n'étaient pas intimes, l'autobiographie de Ganetski et leur correspondance le prouvent. Ils vivaient dans des pays différents, correspondaient en clair par la poste ordinaire ; les lettres de Lénine sont publiées sans souci du qu'en dira-t-on « bourgeois ». Précisément dans une lettre à Ganetski, à propos du voyage à travers l'Allemagne, Lénine refusait tout service de gens ayant des rapports avec Die Glocke (il observait une stricte distinction entre la responsabilité politique et la profession commerciale). Quant à Kozlovski, 8. Il est vrai que huit des protocoles du Comité central (op. cit.) remplacent par des points de suspension les questions relatives à Ganetski et Kozlovski, prétextant l'insuffisance de données pour éclaircir les choses au fond. Linge sale à laver en famille ? Peutêtre, mais diverses interprétations sont également plausibles, et ce compte-rendu est déjà trop long pour qu'on en disserte. BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL l'hom1ne aux 2.000 roubles, Lénine ne le connaissait guère. (Incidemment : le soussigné a fréquenté ce socialiste sympathique, modeste, discret, ami du docteur Jacques Goldenberg qui nous a mis en relation ; rien n'autorise à le mésestimer comme certains écrivains l'ont fait en Angleterre). Constatons que Lénine est nommé 46 fois dans le recueil Zeman sans que rien ne prouve le bien-fondé des imputations forgées à son encontre, tandis que le livre sur Parvus tient les preuves pour acquises d'avance. On sait d'autre part de quoi Lénine était capable ; lui-même disait à Riazanov qui nous l'a répété : « Nous ne sommes pas candidats au prix Montyon ». Mais en l'espèce, les preuves dont des procureurs improvisés font si grand cas sont inexistantes. Les deux biographes de Parvus s'en prennent particulièrement à « l'équipe polonaise » de Stockholm, désignant ainsi Vorovski, Ganetski et Radek qui assumèrent la tâche ingrate, et improvisée, de représenter le Parti à l'étranger après la révolution de Février. Là aussi, ils pèchent par méconnaissance des hommes et des situations, ils se cantonnent dans leurs archives uniiatérales et leurs petits papiers péjoratifs. Tout d'abord la Pologne n'est pour rien dans la présence de ces trois socialistes à Stockholm. Vorovski, né à Moscou de parents polonais, était bien russe et se trouvait là par le hasard de sa vie professionnelle. Ganetski faisait partie d'une fraction socialiste polonaise étroitement associée à la social-démocratie russe. Radek, originaire de Galicie et de nationalité autrichienne, appartenait à la social-démocratie allemande ; lié au groupe de l'Arbeiterpolitik de Brême, il s'était rallié en Suisse à la « gauche de Zimmerwald » sans être pleinement d'accord avec Lénine auquel il s'opposait sur plusieurs thèses essentielle6, de concert avec les « tribunistes » hollandais, Roland-Holst, Pannekœk, Gorter et autres. Ce sont les circonstances, non les parentés polonaises, qui firent de ces militants le bureau à l'étranger du Parti dont Radek n'était pas encore membre. Stockholm, terrain neutre par excellence pendant la guerre, pivot de communications entre les belligérants, lieu de rencontre idéal pour diplomates, agents officiels ou officieux, champ de manœuvres et foyer d'intrigues, devint en outre un centre de rendez-vous pour les socialistes de toutes tendances qui préparaient concurremment deux conférences rivales, l'une des « centristes » de la 2e Internationale, l'autre dite de Zimmerwald (la troisième). « L'équipe polonaise » devait inévitablement louvoyer entre des écueils multiples et parmi des mani-

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