Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

182 sentant américain à l'O.N.U., M. George Ball, a essayé de rattraper ces deux sottises par une interview télévisée au cours de laquelle il a prétendu que la détermination américaine était intacte et que les Nord-Vietnamiens« commettraient une bien grande erreur s'ils croyaient que les Etats-Unis sont actuellement dans la position où se trouvait la France en 1954 ». Nous pensons qu'il existe des similitudes. « Toutefois il importe, pour l'information des lecteurs, de signaler le point de vue contraire qui prévaut à Washington : on y fait ressortir que les communistes ont fait une concession en acceptant que les bombardements ne soient arrêtés que partiellement (c'est-à-dire au nord du 19e parallèle) et que si Paris n'avait pas été d'abord proposé par l'Amérique, c'est qu'elle gardait cette ville pour la bonne bouche, si l'on peut dire, afin de permettre à Hanoï de dire « oui» après ses dix ou onze refus successifs. Dans ce cas, l'Amérique aurait commis une faute en proposant Genève, neutre, dès le premier jour, au lieu de la garder en réserve. On table aussi, à Washington, sur la fatigue de l'adversaire, mais cela semble très aventuré. « Qu'on se reporte, en effet, à la thèse d'histoire qu'a soutenue et publiée M. Pierre Rocolle, ancien professeur à l'Ecole supérieure de guerre, Pourquoi Diên-Biên-Phu ( éd. Flammarion). Cet auteur, qui a combattu en Indochine, insiste sur cette évidence oubliée, que la conférence de Genève fut annoncée officiellement le 18 février 1954 et que l'attaque de Diên-Biên-Phu commença le 13 mars. On peut dire que sans Genève, il n'y aurait pas eu de Diên-Biên-Phu, car jusqu'alors Giap s'était montré remarquablement économe de la vie de ses fantassins, qui étaient réellement fatigués. Or il en perdit près de 30.000 dans les assauts de la base française; mais il fallait faire basculer la conférence, avant même qu'elle se réunît officiellement. C'est pourquoi également les Chinois (alors bien pourvus de matériel soviétique) firent passer en Indochine une telle quantité d'armes, de munitions - et de renforts. Dans un rapport de Giap rendu public (Rocolle, p. 41), celui-ci écrivait : « Cette bataille se déroule à un moment où l'impérialisme français se heurte à de nombreuses difficultés (...), où la lutte du peuple français pour la cessation de la guerre s' amplifie, où celle des peuples du monde pour la sauvegarde de la paix, par l'arrêt de la guerre au Vietnam, connaît une intensité inégalée ... » Est-ce que les circonstances n'ont pas quelque chose de comparable? « Aux deux actuels candidats démocrates à la Présidence, Kennedy et McCarthy, défaitistes tous deux, vient de $'ajouter un défaitiste républicain, le milliardaire Nelson Rockefeller ... Cela a un sens. Quant à la campagne mondiale, elle est mieux menée encore contre BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL les Etats-Unis qu'elle ne l'était contre la France. Il est donc dans la logique de la guerre révolutionnaire que Giap s'efforce de porter un coup sérieux aux Américains. Il a été signalé et confirmé que l'arrêt, presque total, des bombardements s'est traduit aussitôt par l'apparition, au Tonkin, d'énormes convois de camions se dirigeant vers le sud. En fait, les guérillas réarmées, réorganisées après leur échec du Têt, sont revenues à l'attaque; une centaine de localités (y compris Saigon), une vingtaine d'aérodromes, ont reçu des obus et de nombreux accrochages ont eu lieu çà et là. On doit s'attendre à d'autres opérations, voire à des attaques plus importantes. « Pour bien agir, il faut bien penser. Or, les Etats-Unis mettent leur orgueil à ne pas penser. Dans le New York Herald Tribune (29-4-1968), M. Reston explique fièrement que si M. Barry Goldwater a complètement · échoué à la Présidence, en 1967, c'est parce qu'il avait des idées, qu'il défendait des principes, un programme coordonné. M. Restofi loue le citoyen américain de n'être qu'empirique et de choisir des hommes pratiques. Hélas I faute de penser, le pratique Johnson a été incapable non seulement de gagner la guerre, mais même de la faire correctement. « Nous ignorons jusqu'où ira le « dégagement» américain. Mais lorsqu'on s'est avancé dans cette voie, on s'arrête rarement en route.» * * * Deux mois après la publication de cet article signé Candide, il s'avère que la pseudonégociation américano-vietnamienne s'est bornée à des accusations mutuelles ressassées depuis des années et n'a rien eu de commun avec une négociation véritable. Les communistes du Nord étalent une satisfaction indécente de se trouver à Paris dans une ambiance favorable à leur cause, comblés de complaisances officielles et autres, usant au maximum des facilités offertes à leur propagande. Les AmériC'ains s'évertuent en vain à rétablir une vérité qui n'intéresse plus personne, sauf peut-être chez eux une petite partie de l' opinion publique incapable d'influencer les tenants de la paix à tout prix, d'y enrayer les campagnes ouvertement défaitistes. Les Nord-Vietnamiens profitent des restrictions que les Etats-Unis s'imposent en matière de bombardements aériens pour envahir davantage le Sud où affluent les troupes et les armes du Nord. Ils multiplient les attaques aveugles et meurtrières sur l'agglomération de Saigon au mépris du nombre croissant des victimes civiles, dans l'espoir d'y provoquer un revirement politique de désespoir en leur faveur et d'exercer ainsi à Paris une pression décisive sur les palabres. On n'y compte plus

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