Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

B. SOUVARJNE résolution proclamant qu'en aucune circonstance ils ne se battraient pour la monarchie ni pour l'Angleterre; cela ne les a pas empêchés de se comporter vaillamment pendant le blilz d'Hitler. Le gouvernement a fini par donner raison à l'ensemble des étudiants qui font valoir de saines critiques et de judicieux projets réformateurs de l'éducation nationale parallèlement aux bagarres des enragés et aux surenchères d'idéologues en délire, mais nul ne soutiendra que ce résultat eût été atteint sans les violences qui ont forcé l'attention générale et secoué l'apathie des pouvoirs publics. Dans ce domaine comme en bien d'autres, la faillite de la cinquième République égale celle de la quatrième, les mêmes causes ayant produit de mêmes effets; toutes deux sont de même origine, ont craint la vérité comme la peste, ont méprisé toute considération morale, ont professé la même complaisance envers le stalinisme, nonobstant les querelles de boutiques électorales. La satisfaction des plus criants besoins de la vie universitaire et des institutions enseignantes, d'ordre humain et spirituel, a été renvoyée aux calendes grecques. Les dépenses énormes consenties depuis vingt ans, plus particulièrement depuis dix, pour l'éducation nationale, et dont les ministres font état pour se disculper, ne justifient en rien l'incurie qui a déterminé les révoltes récentes : ni les réf ormes essentielles ni les remèdes urgents ne relèvent de chapitres budgétaires. Le cas de la Sorbonne est très significatif, quand on constate la triste déchéance de cette institution vénérable depuis ce qu'en ont écrit Péguy furieux et Suarès ironique. Mais sur ce thème il y aurait trop à dire qui dépasserait la mesure du présent article. Il faudrait aussi aborder la situation des bibliothèques, qui atteste la méconnaissance totale des ministres à l'égard de la vraie culture. Il faudrait encore traiter du noyautage de tout le corps enseignant par ceux qu'un jeune anarchiste de Nanterre a qualifié de « crapules staliniennes» (la vérité, dit-on, sort de la bouche des enfants, donc des anarchistes qui conservent longtemps la candeur de l'enfance) : danger majeur et permanent dont personne, au gouvernement, ne se soucie. Il faudrait par conséquent crier enfin la vérité sur tout ce sur quoi notre establishment préfère garder le silence, et cela emplirait plusieurs fascicules du Contrat social. * * * POUR EN REVENIR à nos moutons, c'est-àdire à des veaux selon de Gaulle, veaux métamorphosés en lions quand ils obéissent au Général-Président, et si rebutant que soit le sujet suivant, il y a lieu d'accorder avec résignation quelques lignes au théoricien américain brus~uement découvert par le Monde et ses satellites qui, ne reculant devant rien, le placent de pair avec Marx, comme idéologue, et avec Mao, peut-être pour la nage. Auteur de livres BibliotecaGino Bianco 99 que les snobs viennent seulement de découvrir et que les émeutiers de Mai n'avaient pas lus, M. Herbert Marcuse aurait annoncé, paraît-il, que le prolétariat n'a nulle vocation d'accomplir la révolution prolétarienne. En quoi il mérite approbation entière, toutefois sous réserve qu'il enfonce une porte ouverte, car des remarques analogues ont devancé la sienne depuis plus d'un siècle. Blanqui, d'abord, spéculait sur les déclassés' non sur le prolétariat en tant que classe, pour réaliser la révolution de ses rêves, et Bakounine, ensuite, à cette même fin, comptait sur les moujiks sans terre, voire sur les échappés de prison et les repris de justice. Plus tard Bernstein, marxiste conséquent, voyait aussi en observant les faits que le prolétariat préférait les réformes à la révolution et, en bonne logique, renonçait au schéma révolutionnaire pour amorcer le révisionnisme. A son tour, Lénine adopta la thèse de Bernstein sur l'inclination naturelle du prolétariat au trade-unionisme, mais à l'inverse de Bernstein il concluait à la nécessité de former des révolutionnaires professionnels pour faire la révolution quand même, quitte à lui coller l'étiquette prolétarienne. Partant de la même prémisse, M. Marcuse, lui, mise sur des intellectuels sans emploi et sur des étudiants sans avenir, sur de petites catégories de désespérés porteurs d'espoir, sauf erreur de notre part; et sans nier l'existence là d'une pépinière de révoltés, il ne s'ensuit nullement la révolution sociale comme corollaire : tout au plus du chambard aisément réprimé par les gendarmes. Retenons encore un propos lyrique de M. Marcuse dans une interview où, questionné sur l'exemple révolutionnaire répondant le mieux à ses vues ou à ses vœux, il répondit par un « Cuba» laconique, comme si le devenir des nations industrielles pouvait être de raser leurs usines pour planter des ananas à la place, et de la canne à sucre (puisque M. Marcuse ne nie pas le rapport de l'économie à la politique). A part cela le professeur américain tient sur certains points des réflexions très raisonnables qui ne cadrent nullement avec son utopie, mais on ne voit guère la relation avec les pavés extraits du boulevard Saint-Michel. Le boucan orchestré autour de sa personne ne décèle que l'abaissement de l'intelligentsia bourgeoise, incapable de répondre aux inquiétudes intellectuelles et morales de la génération montante dont les avocats improvisés se plaisent, un peu tard, à souligner l'angoisse économique. On ne voit pas non plus la relation de cause à effet entre les théories abstraites d'idéoloaues novices ou les desiderata légitimes des étudiants et les sabotages odieux, les dévastations commises sciemment entre autres à la faculté de Nanterre et à l'hôpital Sainte-Anne : précieux instruments scientifiques martelés, lél(,phones arrachés, documentation irrc1nplaçablc 1naculée, murs et planchers souillés, grafTili obscènes, etc.

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