178 cette analyse constituait un effort pour retrouver, non dans les bas-fonds mais sur les sommets - bien qu'à l'usage des multitudes et non pour quelques-uns, - le lien entre le domaine de l'intelligence et celui de la sensibilité. Emery ne s'est pas contenté de ce premier Hugo ni de revenir sur la pensée et l'art du « songeur ~ dans L'Age romantique, dans Chefsd' œuvre, dans Retour aux chef s-d'œuvre, dans Miroir d'un siècle, dans Trois poètes cosmiques, et l'on en oublie. Il a ressenti le besoin de lui consacrer de nouveau un livre tout entier, Victor Hugo en son siècle, paru en 1964. Ainsi avait-il fait pour Balzac, Balzac en sa création (1951) reprenant Balzac, les grands thèmes de « la Comédie humaine » ( 1942) ; pour Beethoven, Beethoven, génie et destin ( 1933) reprenant Beethoven, le poète (1941); enfin, on l'a vu, pour Chef s-d' œuvre. Ces reprises ont un sens, et l'on aurait grand tort de n'y voir qu'une coquetterie d'auteur ou, comme disait Hugo, le souci de ne corriger un ouvrage qu'en en écrivant un autre. Emery n'a pas « retravaillé » ses premiers livres. Il ne les a même pas ouverts quand il s'est remis à l'ouvrage. Il a écrit à nouveaux frais des œuvres vraiment nouvelles, parce qu'il considérait tout ce dont il traitait d'un regard qui n'était plus tout à fait le même. Entre ces deux séries d'ouvrages, même si les dates ne l'indiquent pas avec une netteté parfaite, se placent les formidables bouleversements de la guerre, de l'après-guerre, et leurs révélations politiques, intellectuelles, spirituelles. Sous le réseau fragile des institutions qui l'aident à prendre et .à garder figure d'homme s'est laissé voir, plus effrayant et plus vrai que « le gorille féroce et lubrique » dont Taine retrouvait la trace sous « l'homme palimpseste » ( cette fois, c'est du Hugo), « le gros animal » dont Emery a étudié récemment la physiologie dans un ouvrage qui porte ce titre, l'homme massial, l'homme en masse, la masse humaine que toujours quelque chose pousse ou tire vers le haut et qui, pourtant, est toujours prête à tomber, toujours prête à déchoir, toujours prête à se défaire, toujours , menacee. Les sollicitations de l'action dans le siècle et le facile optimisme qu'engendrent les sociétés prospères offusquent plus qu'à demi ces révélations, pourtant plus d'une fois partiellement renouvelées. Elles sont le pain quotidien de la vie érémitique et, depuis un quart de siècle, Emery n'a pas cessé - on pourrait lire à peu près toute son œuvre sous cet éclairage - de méditer et d'écrire sur ce besoin qu'ont les hommes, cette quête qu'ils font d'idées, d'imaBibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL ges, de symboles, de croyances, de mythes, et finalement des dieux, de la cité, du cosmos ou du ciel, qui les guérissent et de la peur panique du monde naturel et de l'ennuyeuse médiocrité d'une vie sans risque. Relu aujourd'hui, trente ans bientôt après sa parution, Vision et pensée chez Victor Hugo prend tout son sens et toute sa dimension. Car ce que la guerre et ses bouleversements ont révélé à Léon Emery était déjà dans ce livre plus qu'en germe, en intuitions fulgurantes. Les prodromes du grand drame avaient suffi à Emery pour qu'il aperçût ce qui était en cause. Privés de leurs certitudes par l'effondrement des croyances collectives au lendemain de la première guerre mondiale, arrachés à leur inquiétude par la grande crise de surproduction et le chômage, en proie à une sorte de déréliction, les hommes sentaient avec épouvante croître leur solitude et désespérément, aveuglément, cherchaient cette cohésion sociale dont, aux heures trpnquilles, ils n'avaient senti que le poids. Ils voulaient croire, ils réclamaient des certitudes nouvelles, prêts - on l'a vu - à se satisfaire des pires d'entre elles. Les hommes déjà, les hommes encore, les hommes une fois de plus redemandaient des dieux. Ce n'est pas hasard si alors, précisément, Emery engagea ce dialogue avec Hugo qui n'a pas cessé; que, prophète d'un prophète, il nous révéla, dans le poète de la Bouche d'ombre, de Dieu, de La Fin de Satan, de La Légende des siècles, l'un des plus authentiques faiseurs de religions, à tout le moins de dieux, des temps modernes, un mage dont Renouvier avait sans doute tort de dire qu'il s'était trompé de siècle pour apparaître. CLAUDEHARMEL. Combats et mort de Jaurès ALEXANDRECROIX : Jaurès et ses détracteurs. L'histoire à travers la polémique. SaintOuen 1967, Ed. du Vieux Saint-Ouen, 33 5 pp., nombreuses illustrations. JEANR4BAUT: Jaurès et son assassin. Paris 1967, Ed. du Centurion (collection « Un brûlant passé » ), 238 pp., 8 pp. d'illustrations. TouT HOMMEPOLITIQUEdoit s'attendre à être l'objet d'attaques violentes ou sournoises, voire la cible de l'insulte ou de la calomnie. Jaurès, en outre, fut assassiné.
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