Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

QUELQUES LIVRES faveur. Et la démagogie a beau jeu de montrer dans tout changement un piège, de persuader le paysan que les autres classes sont liguées ctntre lui. Techniciens ou gouvernants, tous des étrangers qui troublent « la routine d'une délicieuse immobilité » ... (p. 165). Preuve supplémentaire que c'est bien sous les coups extérieurs que craque l'univers des campagnes et non par l'effet de son évolution propre. * * * Le paysan d'aujourd'hui vit le conflit entre son univers traditionnel, . « être libre, manger son pain, respecter la nature » (p. 171 ), et la nécessité de pourvoir au marché, de se révéler capable d'un calcul économique. Non seulement rationnel et irrationnel se mêlent étroitement, mais ils changent de signification : le premier peut prendre figure de luxe inutile, le second devenir une obligation. En fait, le rationnel procède de la ville et de ses entreprises industrielles ou commerciales, l'irrationnel est l'héritage d'une continuité de situations. Le rationnel se pare de couleurs tantôt intellectuelles - chez les modernistes, - tantôt affectives - chez les traditionalistes. Les quatre cinquièmes des paysans écoutent la radio ou lisent des quotidiens locaux, mais ils ne font confiance, pour l'achat d'une nouvelle machine, qu'à l'expérience des voisins dont l'opinion a d'autant plus de poids qu'ils se sont longtemps montrés réticents à toute innovation. Dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, un progrès qui singularise a peu d'influence. Aussi la motorisation du matériel, par exemple, a-t-elle des débuts difficiles, puis, passé certain seuil, se généralise-t-elle très vite, souvent au mépris de tout calcul, par simple engouement technique : on se procure plus volontiers un tracteur qu'on ne recourt au crédit ou qu'on n'adhère à une coopérative. Le portrait-robot du « bon agriculteur », tel qu'il émerge des enquêtes, permet de constater que celui-ci procède de trois conditions nécessaires : posséder des moyens matériels, savoir travailler, se moderniser, les deux dernières étant fonctions de la première. Parmi les moyens, le plus important est l'existence d'une main-d'œuvre et d'une superficie suffisantes, faute de quoi les meilleures techniques ne seraient pas efficaces ; il y a certaine coïncidence entre la rentabilité d'un tracteur et la surface qui est à même de faire vivre une famille, surface qui varie d'ailleurs de dix à trente hectares suivant les genres de culture, lesquels subsistent comme des données rigides. BibliotecaGino Bianco 173 Peu d'agriculteurs songent à modifier leur système de culture : ils attendent davantage d'une intervention de l'Etat sur les prix. Encore une fois, le tracteur joue un rôle de pur prestige autant que d'économie ; il est l'indice que l'exploitation fonctionne bien, contribuerait-il à sa ruine par un endettement excessif ou des dépenses inutiles, généralement dues à une imitation aveugle du voisin le plus fortuné. Trop souvent, le tracteur est mal employé et se déprécie sans s'amortir (p. 195). En schématisant, l'auteur relève que le progrès emprunte deux voies, l'une traditionnelle, l'autre authentiquement novatrice : la première correspond à un accroissement quantitatif de la terre et du capital, elle est axée sur un travail forcené et sur l'épargne ; la seconde suppose une transformation de la gestion, l'adaptation .des cultures à la demande, la participation à un organisme de production ou de répartition. Les jeunes empruntent fréquemment la deuxième de ces voies. Ils prennent plus de risques, _ne s'en remettent pas exclusivement à l'Etat pour les défendre. Une enquête dans le Léon, en Bretagne, montre que 47 % des exploitations ne sont capables de rémunérer ni le sol ni le travail; 18 % seulement donnent des profits normaux, au sens économique du mot (p. 200), 11 % sont équilibrées et 24 % ne rémunèrent qu'un des éléments : ou bien la terre ou bien le travail. En tête des bons rendements, on trouve des agriculteurs petits et moyens qui se plaignent du morcellement et des superficies insuffisantes. De petits exploitants adoptent parfois un modernisme purement symbolique. L'auteur propose une typologie assez abstraite (p. 204) comprenant six cas (p. 206 ), mais il ne paraît pas qu'il existe une corrélation étroite entre les situations, l'âge, l'importance des exploitations et le comportement des cultivateurs, à quoi il convient d'ajouter l'environnement social et le milieu politique ( « tout dépend des voisins », p. 209). Finalement, personne ne peut dire si la culture traditionnelle, supposé qu'elle dispose de moyens suffisants, est un facteur décisif d'insécurité ou non. * * * On a pu soutenir qu'un paysan - au moin au sens traditionnel - n'a pas de métier. On naît paysan, on ne le devient pas. Jusqu'à notre époque, et aujourd'hui encore dan une grande mesure, le paysan échappe à toute instruction technique. Son savoir-faire est un héritage auquel s'ajoute son expérience personnelle. fa

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