Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

172 que le vieillissement du père (p. 120). Une sorte de matriarcat tendrait à s'établir en tant qu'intermédiaire entre vieilles et jeunes générations. De celles-ci dépend l'avenir de l'entreprise économique ou sa disparition après avoir assuré la survie des parents. Mais la femme jeune devient de plus en plus un « coentrepreneur » aux activités limitées. Sous la double pression de la femme et des héritiers, le régime patriarcal tombe en désuétude. Contrairement au droit industriel, le droit _rural s'intéresse davantage au cultivateur qu'à l'entreprise ; il tend à assurer sécurité et continelle plutôt qu'à favoriser une production 11 cherche à maintenir une société traditionnelle plutôt qu'à favoriser une production moderne. L'agriculteur obéirait davantage à la morale ou à la mode qu'à des prévisions économiques. Cette opinion de M. Mendras ne vaut que pour le moment présent ; à notre avis, le conflit des générations inaugure une mutation complète des motivations essentielles en agri- ,culture. * * * Un sondage effectué dans le Béarn surprend sur le vif la réaction au progrès : la culture du maïs hybride, importé d'Amérique, plus rentable mais exigeant plus de capitaux et de technique, a mis dix ans à s'imposer. On se consolera en apprenant qu'il lui fallut cinq ans aux Etats-Unis. Hors de toute considération financière, seule compte l'expérience personnelle pour surmonter des habitudes cristallisées, héritées de traditions d'économie naturelle qui survivent aujourd'hui : la terre est considérée comme la nourricière avant d'être la source d'un commerce. Par l'intérêt qu'elle présente, la culture du maïs aurait dû prédominer, voire éliminer toutes les autres, mais, autant par méfiance des phénomènes du marché que par habitude, il n'en va pas ainsi. Dans la psychologie paysanne, la monoculture représente un risque qui n'est jamais compensé par l'augmentation des profits. Lentement cependant la loi du marché aboutit, dans la région étudiée, à spécialiser culture et élevage sur deux produits 11niques : le maïs et le lait. La résistance du paysan à la monoculture cède la place à l'hésitation. « Il a l'impression justifiée qu'en l'adoptant il met le doigt dans un engrenage qu'il ne contrôlera plus et auquel il ne pourra plus échapper. Il sera acculé à devenir un ag_riculteur moderne » (p. 140). Cet engrenage implique le plus souvent l'endettement, et « ce n'est pas bien d'acheter à crédit » (ibid.) ... On est · BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL à la merci des agronomes qui, d'ailleurs, ne sont pas d'accord entre eux. Ce n'est pas comme le père et le grand-père, ·sclérosés dans leurs certitudes... Quant aux dirigeants modernistes des syndicats et coopératives, en fait ils font partie des « puissants » dont le paysan s'est toujours méfié, dont il pouvait se moquer aux temps anciens de l'éconon1ie naturelle. Observons ce qu'il est convenu d'appeler la marche du progrès technique dans ces campagnes du Sud-Ouest plutôt repliées sur ellesmêmes. Les pionniers des premières années 50 se documentaient, lisaient des revues techniques et professionnelles ; les suiveurs des années 60 ne sont plus guère influencés que par les succès de leurs voisins. Ce faisant, ils sont moins portés par l'intérêt pécuniaire que par le désir de ne pas paraître « en retard » : la résistance s'abolit par la mode, d'autant plus que, le temps aidant, les risques étant moindres, l'innovation n'est plus l'apanage des « gros » cultivateurs, mais atteint ceux dont l'exploitation compte moins de six à sept hectares. Tout changement dépend davantage peutêtre de 1: âge des exploitan ts que de leur aisance. Dans une région où subsiste une atmophère patriarcale, le fils, fût-il devenu adulte, disparaît dans l'ombre de son père, seul responsable et à ses yeux seul compétent. Aussi le rythme d'une implantation nouvelle suit-il celui des générations : les enfants, généralement membres du C.N .J.A. (Centre national des jeunes agriculteurs), anciens militants de la Jeunesse agricole chrétienne, sont les artisans du progrès, mais leur influence reste des plus limitées sur les aînés forts de leur vieille compétence. Pour ces derniers, ce sont les dimensions de l'exploitation qui emportent l'adhésion : on fait confiance aux expériences des « gros » agriculteurs, non à celles des jeunes. A leur suite, lorsque, s'intéressant davantage aux demandes du marché on cherche à s'étendre, la porte s'ouvre sur une mutation ultérieure de l'agriculture traditionnelle. Cette mutation s'ébauche dans un climat fort peu scientifique, où les préceptes techniques les plus élémentaires disparaissent devant une espèce de manichéisme géographique : ce qui est bon pour l'Amérique ne peut l'être pour le Béarn ! L'efficacité n'entre que rarement en ligne de compte : il convenait d'abandonner la culture peu rémunératrice du blé, certes, mais cela eût été scandaleux... Des raisons de prestige social, compliquées d'attitudes politiques, imposent alors une culture de préférence à une autre : les communistes sont contre le maïs hybride; les catholiques se prononcent en sa

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