Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

QUELQUES LIVRES Destin de l'agriculture HENRIMENDRAS: La Fin des paysans. Paris 1967, Editions S.E.D.E.I.S. (collection « Futuribles » ), 359 pp. LE PROFESSEURHENRI MENDRAS,qui dirige au C.N.R.S. le groupe d'études de la sociologie rurale, a donné à son ouvrage, au titre si radical, un sous-titre qui le corrige quelque peu et résume bien le sujet : Innovations et changement dans l'agriculture française. Longtemps, l'agriculture a vécu en circuit fermé, et le terme de « paysan » a défini pendant des siècles un véritable « fossile », se distinguant de la civilisation contemporaine par le fait qu'il en était pratiquement exclu. Brossant à grands traits un tableau de la lente révolution des structures et des techniques agricoles hésitant devant les nouveautés, M. Mendras signale, après Augé-Laribé, que ces changements furent le fait des milieux urbains par l'intermédiaire des notables modernistes. Les innovations, volontiers acceptées dans la mesure où elles permettaient un succès de prestige plutôt qu'une économie de travail, furent souvent dans les temps modernes l'enjeu des luttes politiques : approuvées par les uns, elles étaient rejetées par les autres, suivant l'origine des initiateurs. Epargne et capital furent recherchés non pour les revenus qu'ils étaient à même de procurer, mais pour consolider certaines positions dans une économie relativement fermée. En outre, le paysan vivait en osmose avec la nature, particulièrement avec cette parcelle de nature qu'il possédait et dont il prétendait être le seul à connaître les subtiles qualités. Etat d'esprit permanent, à peine entamé à notre époque, et opposé aux perfectionnements scientifiBibliotecaGino Bianco ques qui font de la terre un moyen de production, non une épouse mystique ... La lutte pour la possession du sol, gage d'indépendance sociale et politique, et aussi de vie familiale, était pénétrée d'un sentiment analogue, sentiment extérieur au simple calcul économique et s'identifiant à une conception ancestrale de la liberté. Le temps ne peut se mesurer à l'aide du calendrier astronomique, il se confond avec maints cycles naturels en rapport avec les saisons et les conditions atmosphériques. Il est rarement maîtrisé selon les besoins, mais, sous sa forme urbaine et calculée, il s'est peu à peu imposé, de pair avec la mécanisation. L'auteur indique qu'en 1953 encore la moitié des agriculteurs ne portaient jamais de montre. En ce sens, les travaux agricoles ont peu de choses en commun avec le travail industriel (non sans paradoxe, M. Mendras rapproche plutôt le paysan de l'intellectuel). Selon nous, le temps consacré à la traite par exemple, dans les grands élevages, peut être aussi minuté que le travail en usine ; cependant, dans la polyculture où la diversité des tâches ne permet guère la rationalisation, l'année reste une meilleure unité de temps que l'heure. L'auteur analyse une psychologie de la famille paysanne où se combinent, dans l'ambiance patriarcale, les vies affective, professionnelle et sociale. Là, actes et sentiments ne peuvent répondre aux mobiles qui seraient ceux d'un entrepreneur industriel : il arrivera que l'exploitant agricole se révèle plus soucieux de son prestige social que de l'amortissement du tracteur payé trop cher. L'exploitation ne fait pas faillite, mais s'appauvrit ; elle ne meurt que si les héritiers l'abandonnent. M. Mendras souligne le rôle croissant de la femn1e en mên1e temps

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==