Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

170 Pas plus à cette époque que pendant la première grande vague de l' « économisme » ces conflits ne se limitent à Changhaï. La situation est sensiblement la même dans presque toutes les autres grandes villes de Chine et les campagnes environnantes. Pendant l'été 1967, des grèves d'une grande ampleur et d'autres manifestations d'esprit « économiste » accompagnent de nouveaux heurts de plus en plus graves et une recrudescence des luttes pour le pouvoir entre factions rivales du Parti, de l'armée, et du mouvement « rebelle » non seulement à Changhaï, mais aussi à Wou-Han, Canton, Fou-Chouen, Nan-Tchang, TchengTchéou, Tcheng-Tou, Ki-Rin et maintes autres grandes villes. A la fin du mois d'août, les choses iront si mal un peu partout que Mao décide - à moins qu'on ne l'incite ou oblige à décider - de mettre un frein à la révolution culturelle. Il tente d'en ralentir le rythme en usant à la fois de nouvelles directives officielles et de son influence personnelle. Il pratique les deux méthodes à Changhaï au cours de sa tournée d'inspection de septembre dans l'Est, le Nord et le Centre-Sud. Au lendemain de la visite du chef suprême, le Chié-fang Dji-pao (26 septembre 1967) reconnaît qu'à Changhaï · l'épreuve de force entre partisans et adversaires de Mao n'a pas connu un moment de répit depuis la prétendue victoire de la révolution de janvier. « Et depuis deux ou trois mois, ajoute le journal, la lutte atteint une intensité sans précédent et se poursuit à l'échelon national. » Un pas en arrière, deux pas en avant ? LORSQUE,vers la fin de 1965, Mao déclenche la révolution .culturelle, ·c'est sans doute parce qu'il compte par ce moyen isoler, puis abattre ses adversaires puissamment retranchés dans le Parti, l'armée et la hiérarchie officielle. Il encourage donc la population, et en particu~er la jeunesse, à exercer .sa propre initiative dans un mouvement gigantesque destiné en fin de compte à détrôner les antimaoïstes. Ce faisant, Mao n'ignore sans doute ·aucunement qu'une purge résultant d'une « lutte de masse » comporte plus de dangers qu'une purge effectuée par une police secrète, strictement aux ordres ; ainsi, pour Mao, la révolution culturelle se présente sans doute à l'origine comme un risque pris en connaissance de cause. Il ·BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE semble toutefois peu probable que Mao sache dès l'abord ce que l'expérience de Changhaï a démontré depuis à l'évidence, à savoir que dans une situation comme celle de la Chine l'incitation prolongée à la rébellion générale ne peut manquer de déchaîner tôt ou tard des formes parfaitement inopportunes de révolte spontanée, orientées précisément vers ces buts « économistes » que Mao espère extirper de la mémoire des hommes. Il est également peu probable qu'il mesure toute la profondeur des haines que ces luttes de masse vont laisser derrière elles ~t qui, partageant non seulement les cadres du Parti, mais l'ensemble de la population, en plusieurs camps. farouchement opposés, amèneront le pays au bord de la guerre civile. Il est clair que c'est pour parer à ce danger de la guerre civile que Mao entreprend bon gré mal gré son voyage de septembre et amorce brusquement un tournant qui le ramène (en termes communistes) de la « gauche » vers le « éentre ». Désormais, l'ennemi contre-révolutionnaire ne se situe plus nécessairement à « droite », on le trouve aussi bien à « l 'extrême gauche». En outre, au lieu de continuer d'insister constamment sur la thèse (d'origine stalinienne) de l'exacerbation de la lutte des classes pendant la période d'édification du socialisme, Mao met à profit son passage à Changhaï. pour dévaloriser la notion de conflit et revaloriser celles d'unité et de coopération universelle. Le W en Hui Pao du 15 septembre 196 7 met dans la bouche même de Mao des propos révélateurs : si la jeunesse ne s'unit pas pour collaborer de bon .cœur avec les cadres expérimentés du Parti, « notre cause ne progressera plus ». Mao pose aussi à cette occasion un nouveau principe, constamment présenté depuis comme « la dernière leçon du président Mao, que chacun doit apprendre à comprendre » : Il n'existe pas de conflit fondamental d'intérêt dans les rangs de la classe ouvrière. Sous la dictature du prolétariat, il n'y a aucune raison pour que les rangs du parti des travailleurs se scindent en deux grandes factions implacablement dressées l'une contre l'autre 36 • EVELYNANDERSON. (Traduit de l'anglais) , 36. WHP, 20 septembre 1967.

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