168 Parmi les plus importants de ces éléments « conservateurs » figurent bien entendu les Détachements qui semblent avoir été les principaux organisateurs des grèves de décembre et janvier, et qui sont restés farouchement hostiles aux « rebelles révolutionnaires » après que ceux-ci eurent pris le pouvoir. C'est en vain, semble-t-il, que les maoïstes tendent la perche aux « frères de classe » qui se sont laissés « entraîner » en annonçant que les travailleurs sont de plus en plus nombreux à reconnaître leurs erreurs et à se rallier au nouveau régime. Dans la presse, en effet, les appels se font de plus en plus pressants : le devoir de la gauche révolutionnaire est de « rallier » à sa cause, c'est-à-dire à celle de Mao, les masses adhérant aux Détachements et autres organisations « conservatrices ». Au mois de mai enfin, les organes d'information de Changhaï publient des « documents secrets » qui prétendent démontrer que les Détachements n'ont jamais été que l'instrument de la fameuse « poignée de dirigeants procapitalistes », lesquels s'en seraient servis pour faire « couper l'eau et l'électricité et arrêter les transports 27 ». Toutefois, souligne-t-on inlassablement, ne furent et ne sont véritablement complices des contre-révolutionnaires que les meneurs, qu'il faut bien distinguer des malheureux travailleurs égarés dans les Détachements. Pas plus que la « grande alliance » unissant la multitude des organisations « rebelles » ne se réalisera l' « alliance triangulaire » dans laquelle les maoïstes espèrent fondre les groupes rebelles, l'armée, et les anciens cadres du Parti ayant fait preuve de leur foi révolutionnaire. Les dénonciations et les humiliations publiques (fréquemment assorties de mauvais traitements) subies par presque tous les cadres du Parti et de l'administration municipale au plus fort des désordres orchestrés par les gardes rouges ont manifestement traumatisé victimes et témoins au point qu'il ne suffit pas de prêcher la réconciliation générale pour mettre fin aux antagonismes et à la peur. Et pourtant, pour le Comité maoïste au pouvoir, la réconciliation entre les anciens cadres et leurs assaillants d'hier est devenue un objectif qui ne le cède en importance qu'à l'extirpation de l' « économisme ». La réhabilitation et la réintégration de la grande majorité des anciens fonctionnaires s'impose non seulement parce que les dernières directives de Pékin l' ordonnent, mais parce que sans leur appui actif rien ne se fait ni rien ne se fera. Les maoïstes manquent en effet cruellement d'organisateurs et 27. RC, 15 mai 1967. · BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE d'administrateurs capables et rompus au métier politique. A défaut de cadres expérimentés, reconnaissent-ils non sans franchise, la sécurité publique ne peut être garantie et le pouvoir maoïste ne pourra se maintenir aux différents échelons de l'administration municipale 28 • En l'occurrence, il ne suffit pas de bien poser la question pour la résoudre. Les obstacles, et les nouvelles difficultés liées à chaque tentative pour les écarter, paraissent presque insurmontables. Il est certain qu'un nombre appréciable de fonctionnaires plus ou moins subalternes finissent par reprendre leur service, non sans être soumis au rituel de la confession et de l'autocritique publiques. Etant donné toutefois le caractère purement cérémonial et fréquemment burlesque de ces séances de confession et de pardon - avec le désenchantement et le cynisme qu'elles suscitent 29 , - on est en droit de se demander combien de ces prétendues « conversions » sont sincères. Quant aux anciens cadres supérieurs, qui sont ceux dont on a besoin le plus, mais qui sont aussi ceux qui ont le plus souffert des dénonciations et des brimades, ils ne semblent ·guère mûrs pour la réconciliation - ni réelle ni même de pure forme. Sauf de rares exceptions, qui font d'ailleurs l'objet d'une large publicité, les hauts fonctionnaires ne se laissent nullement séduire par les promesses alléchantes des maoïstes. Sans doute leur gardent-ils trop de rancune ou craignent-ils, non sans quelque raison, de s'exposer à de nouvelles manifestations haineuses, d'être de nouveau taxés d'antimaoïsme et cloués au pilori. Par surcroît bon nombre de groupements gardes rouges et rebelles refusent tout contact avec leurs anciens maîtres - ce qui ne fait rien pour dissiper les inquiétudes de ceux-ci. Ce qui complique encore les choses, c'est que le Comité révolutionnaire de Changhaï fait preuve• d'une particulière docilité à l'égard du pouvoir central et croit devoir se conformer à toutes les directives à la fois. Aussi semble-t-il souvent agir simultanément dans des directions opposées. C'est ainsi qu'il invite rebelles et gardes rouges à accepter bon gré mal gré la réhabilitation des anciens .cadres supérieurs (à la seule exclusion de la « poignée » de contrerévolutionnaires) ; mais en même temps il leur enjoint d'associer à la réalisation de l' « alliance triangulaire » à la base le dépistage des derniers agents du « Khrouchtchev .chinois » (le 28. WHP, 25 février 1967. 29. Cf. le témoignage de Neale Hunter : ~ Three Cadres of Shanghai» in Far Eastern Economie Review, vol. LVI, n° 9.
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