162 Vers la mi-septembre commence une nouvelle phase : l'occupation à peu près complète de la ville par les gardes rouges. Déjà les unités de Changhaï ont reçu en renfort plus d'un million de gardes rouges venant de l'extérieur ; ils sont cantonnés dans plus de 1.500 centres d'accueil et approvisionnés par quelque 150.000 travailleurs employés à plein temps par ces· centres 4 • Agissant soit de concert, soit, la plupart du temps, chacune pour son compte, d'innombrables formations de gardes rouges réquisitionnent les transports et occupent les édifices publics ; puis, à la manière de Pékin, ils s'attroupent sur les places, dans les rues et les ruelles, s'attaquant à tous ceux qui leur sont hostiles ou qu'ils s'imaginent l'être et lançant des mots d'ordre toujours plus extrémistes. Déjà les remous produits rendent la vie difficile pour la population, mais ce n'est qu'un début. La révolte des travailleurs EN EFFET, la situation ne devient réellement critique qu'en décembre 1966 et le mois suivant, lorsque les ouvriers des usines, du port et des chemins de fer - conduits en règle générale par des groupements locaux, les « Détachements de la milice rouge des travailleurs » (ci-après : Détachements), et bénéficiant du soutien d'anciens requis du travail revenus de chantiers lointains - réagissent à leur façon à ces appels incessants à la rébellion. Contrairement à la volonté des organisateurs de la révolution culturelle, cette révolte des travailleurs ne vise aucunement le révisionnisme contre-révolutionnaire ou telles autres hérésies antimaoïstes, mais les dures conditions d'existence et de travail. Selon les circonstances et les objectifs du jour, ces manifestations ouvrières revêtent des aspects multiples, mais partout et à tout moment un caractère leur est commun : d'avoir pour objet d'abord - et dans la plupart des cas seule1nent - la satisfaction de revendications immédiates, d'ordre social et / . econom1que. Il ne fait guère de doute que la licence apparemment totale laissée aux élèves et étudiants de la garde rouge, et les airs de petits commissaires qu'ils se donnent, ont fini par exaspérer le reste de la population, sans parler de l'envie qu'ils suscitent. Pour leur part, les ouvriers des usines estiment devoir saisir l'occasion pour réclamer eux aussi une amélioration de leur sort. Certes, leurs revendications 4. Radio-Changhaï (ci-après RC), 7 mars 1967. · BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE sont presque invariablement enveloppées dans la phraséologie maoïste appropriée, mais en fait il s'agit d'exigences matérielles, d'ailleurs formulées sur un ton de plus en plus impérieux, voire menaçant : réduction immédiate des horaires, augmentation des barèmes de salaires, des primes et des prestations sociales, construction de logements, enfin abolition des conditions d'emploi « déraisonnables » et pénibles appliquées à diverses catégories, en particulier à la multitude des travailleurs temporaires et contractuels. · Dès la mi-décembre 1966, les autorités municipales semblent être complètement dépassées par la situation. Submergées de mots d'ordre menaçants et d'appels à la rébellion, elles commencent à céder à la pression croissante exercée par la classe ouvrière en faveur de réformes sociales immédiates. Oralement ou par écrit, elles font de hâtives promesses à certaines catégories, tout en distribuant à d'autres des permis de circulation en chemin de fer et des sommes d'argent considérables, avec mission expresse de se rendre à Pékin « pour se plaindre de la situation >>. Tandis que certains obtiennent ainsi satisfaction, beaucoup d'autres sont oubliés, ou s'impatientent. D'où une vague grandissante de ressentiment et de colère. Les travailleurs n'acceptent plus de transiger sur leurs revendications et déclenchent des grèves de protestation. Le mouvement s'amplifie à une allure telle que dès la fin de l'année, il semble devoir prendre les proportions d'une grève générale. C'est dans le port même que le mouvement se serait déclenché, peu avant Noël 1966. D'après un compte rendu officiel, cette « grève extrêmement grave des ouvriers du port» fait suite aux protestations contre les conditions « déraisonnables » de travail, lesquelles ont déjà incité « un grand nombre d'ouvriers à quitter leurs postes de production 5 ». Les cheminots débraient peu après. Les deux grandes lignes reliant Changhaï à Nankin et à HangTchéou sont paralysées. Aucun train ne quitte plus Changhaï et les grévistes font arrêter de nombreux trains chargés de voyageurs et de marchandises en divers points situés sur les deux lignes 6 • Les grèves jettent également la confusion, dans les transports fluviaux, dont la ville dépend pour son ravitaillement en charbon, en fer et en diverses autres matières premières, de même que pour les arrivages de 5. Ibid., 10 janvier 1967; Radio-Pékin (ci-après RP), 16 janvier 1967. 6. CN, 9 février 1967.
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