Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

B. SOUVARINE subversive par entraînement juvénile, par solidarité, par sport, et qu'un petit nombre d'étudiants studieux ont participé consciencieusement au travail de co1nmissions préoccupées de remédier aux tares d'institutions vétustes. Ces derniers ne se piquent pas d'instaurer la nomination des maitres par les écoliers ou, suivant l'expression d'Auguste Comte, des supérieurs par les inférieurs. Mais leur discrétion a passé inaperçue tandis que le chahut du plus grand nombre, l'action des petites sectes communistes rivales d'extrême gauche, les élucubrations anarchistes, etc., ont suscité l'émulation du parti communiste officiel et des syndicats que ce parti 1nanipule. Il en résulta les journées de Mai où, dans un pays paralysé par la grève quasi générale, il apparut que le gouvernement n'avait plus d'existence effective, que la crise du régime était ouverte, que la vacance du pouvoir autorisait l'opposition socialo-communiste à en briguer la succession légale sous la pression de la rue. Il a pourtant suffi d'une brève déclaration comminatoire du GénéralPrésident à la radio pour raffermir la cinquième République chancelante. A vrai dire, l'efficacité de cette déclaration tenait au sous-entendu d'une intervention éventuelle de l'armée contre les trublions qui entraînent et encadrent des foules. Et en reprenant à son compte et à sa façon les premiers mots du Manifeste de Marx annonciateur de la tempête de 1848 : « Un spectre hante l'Europe, le spectre du communisme», en les appliquant à la France et en y ajoutant le qualificatif « totalitaire» emprunté au fascisme, de Gaulle proclamait la patrie en danger, alertait d'un coup de clairon toutes les forces de conservation sociale désemparées pendant quelques jours. En un instant, « l'espoir changea de camp, le combat changea d'âme». Ici intervient encore l'ironie de l'histoire. Qui pouvait s'attendre au revirement spectaculaire du Général-Président qui avait plus que personne conféré la respectabilité politique au parti des fusilleurs, lequel trahissait la France et faisait cause commune avec Hitler tant que celui-ci n'attaqua pas en félon Staline, son complice? Qui donc a fait croire que les communistes staliniens sont « des Français comme les autres», à telle enseigne que la Radiotélévision française, monopole d'État, fut pratiquement confiée aux communistes de la pire espèce stalino-pogromiste et à leurs compères, ful mise au service de la propagande ennemie, ouverte ou hypocrite, comme chacun a pu s'en convaincre encore tout récemment lors du cinquantenaire de la révolu lion d'Oclobre? Depuis quelque dix ans, la presse des gens au pouvoir publie des articles qui pourraient paraître dans les journaux communistes, el vice versa. En politique extérieure, de Gaulle est allé aussi loin que possible, eu égard aux circonstances, dans le rapprochement avec les pays soumis au « communisrne lolalilairc » el dans l'hoslililé syslérnaliquc envers les pays qui ont sauvé deux BibliotecaGino Bianco 97 fois la France en un quart de siècle, qui ont soustrait l'Europe à l'hégémonie allemande. Le parti communiste pseudo-français en a tiré un bénéfice immense sous tous les rapports. Certes de Gaulle peut, au nom de la Realpolitik, arguer d'une distinction opportune entre la politique étrangère et la politique intérieure. Il n'ignore pas que Lénine s'entendit avec Mustapha Kemal qui pendait ses communistes ou les noyait dans le Bosphore; que le gouvernement soviétique courtisa Mussolini qui administrait de l'huile de ricin aux communistes et les déportait dans des îles; que Staline pactisa cyniquement avec Hitler qui matraquait les communistes et les envoyait à l'échafaud pour les faire décapiter à la hache. Mais précisément, dans aucune de ces circonstances il ne fut question de ménager, encore moins de favoriser les communistes du pays qui s'accordait avec Moscou à des fins de Realpolilik. En France le parti des fusilleurs a été le principal profiteur de ladite politique, et il l'est encore. De quelque maîtrise politico-stratégique dont de Gaulle ait fait preuve en renversant le courant in extremis à son avantage par son laïus à la radio le 30 mai, il n'a guère changé le rapport des forces politiques dans le pays, sauf au Parlement où sa majorité n'est absolue qu'en vertu du mécanisme électoral. Les communistes et leurs alliés n'ont guère perdu, peut-être temporairement, qu'un million et demi de voix malgré les excès du grabuge que leurs concurrents leur imputent, bien qu'ils n'en fussent pas coupables et nonobstant leur réprobation des « groupuscules» remuants dénoncés par eux comme ultragauchistes. Le gouvernement qui avait cédé aux exigences ouvrières par l'accord dit « de Grenelle» a cédé ensuite, pour l'essentiel, aux exigences de la révolte étudiante - main de velours dans un gant de fer. De Gaulle, en reculant de la sorte par l'intermédiaire de ses ministres, a consenti ce qui s'appelle, depuis Quintilien, faire de nécessité vertu. Mais la situation générale n'en demeure pas moins grosse d'incertitudes et de périls, donc d'une nouvelle phase de guerre civile si les pouvoirs publics ne prennent pas enfin conscience des réalités ni ne s'avisent de parer intelligemment aux dangers éventuels. Ainsi restent posés le problème des « groupuscules» communistes qui animent et entraînent au combat une masse indécise, et le cas du parti communiste officiel flanqué de ses syndicats et de multiples organisations auxiliaires, véritable État dans l'État dont il s'agit de régler le compte, œuvre de longue haleine après vingt ans de mensonge sans contrepartie. * * * LES « GROUPUSCULES )) contrastent a\'eC les sociétés secrètes qui avaien l inspiré les révolutionnaires de 1848 d'abord rn cr sens qu'ils se 1nonlrenl incapables de cogiter une pensé<.' qui leur soil propre. A part un

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