Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

K. PAPAIOANNOU an ... Aussi, un boyard, s'est-il écrié, dans l'enivrement du triomphe : « Les 14 jours de corvée du Règlement organique s'élèvent à 365 jours par an ! » 20 Qu'aurait dit Marx de l'humour noir de Staline se félicitant, lors de la « collectivisation » forcée, d'avoir « aidé les paysans à entrer dans les kolkhozes » ? Qu'aurait-il dit du troudodien, système de rémunération par « journées de travail », lequel aboutit à ce résultat que les paysans parqués dans la catégorie la plus défavorisée doivent travailler quarante-neuf jours pour obtenir ce que les plus privilégiés reçoivent en un jour de labeur ? Qu'aurait-il dit de ce véritable système de servage d'Etat que la Russie,•« libératrice de l'humanité », a imposé aux peuples qu'elle a annexés et aux prétendues « démocraties populaires » ? L'Allemagne MAIS plus que le sort des paysans danubiens, ce qui inquiétait Marx, c'était la menace que le panslavisme faisait peser sur l'Allemagne et la « civilisation européenne ». Si le « principe de nationalité » a servi de prétexte au « tsar bienveillant » polir « subjuguer la Circassie et exterminer les Tatares de la Crimée », le but systématiquement poursuivi par les Russes est de « réaliser un grand empire slave, de l'Elbe jusqu'à la Chine et de l'Adriatique jusqu'à l'océan Arctique » : Tout ce qui se situe à l'est de !'Elbe est slave ; les quelques enclaves allemandes et autres intrus qui se sont faufilés en territoire slave ne peuvent plus longtemps barrer la route au développement de l'élément slave ; ils n'ont d'ailleurs aucun droit_ de se trouver là où ils se trouvent. Un fois cette situation panslaviste établie, il va de soi qu'une rectification analogue des frontières s'impose dans le sud ( ...). Dans l'établissement de cet empire russoslave d'après les recettes les plus éprouvées du « principe de nationalité », quelques Magyars et quelques Roumains sont annexés à la Russie, pour les punir d'avoir osé se glisser entre les Slaves du nord et les Slaves du sud ... Dans cette opération, nous autres, Allemands, nous perdons tout simplement la Prusse orientale et occidentale [c'est fait!], la Silésie [idem], certaines parties du Brandebourg et de la Saxe [idem], toute la Bohême et la Moravie [idem] - et, par-dessus le marché, notre propre existence nationale. Dans ces conditions, l'Autriche allemande, l'Allemagne du Sud-Ouest, l'Allemagne du Nord ne pourront agir de concert que sous la direction russe 21 ••• Ce qui révoltait le plus Marx et Engels, c'était l'hypocrite phraséologie « coexistentialiste » dont la diplomatie russe affublait ses 20. DaJI Kapital, 1, 246-247 (l, 233-234). 21. Iferr Vogt ; W, XIV, 508-509 (Il, 34-35). BibliotecaGino Bianco 155 menaces et ses chantages. Comme disait Nesselrode en 1848, « le tsar ne s'est jamais départi de la règle de ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures des pays qui voulaient changer de régime ; bien au contraire, il les laisse entièrement libres de réaliser les expériences politiques et sociales qu'ils veulent entreprendre ». On imagine la réponse de Marx : La note russe oublie d'ajouter les exemples pouvant servir d'illustrations. Après la révolution de Juillet, le tsar a concentré une armée à la frontière orientale, pour prouver par des actes aux Français de quelle manière il entend laisser les peuples « réaliser librement leurs expériences politiques et sociales » ( ... ). Son comportement fut le même envers l'Espagne et le Portugal ( ...). Lorsque le roi de Prusse voulut accorder une sorte de Constitution, fin 1842, ce fut Nicolas, comme chacun sait, qui lui opposa une interdiction formelle ( ...). Inutile de mentionner le cas de Cracovie. Rappelons-nous seulement le dernier échantillon de la « règle de conduite » du tsar. Les Valaques renversèrent leur vieux gouvernement et le remplacèrent par un gouvernement provisoire. Ils voulaient réformer tout le vieux système et se donner des institutions d'après le modèle des peuples civilisés. « Pour les laisser librement faire leurs expériences politiques et sociales », un corps d'armée russe envahit le pays 22 • Dans sa circulaire, Nesselrode accusait la presse allemande d'ingratitude envers la Russie, laquelle avait « versé son sang pour sauver l'intégrité de l'Allemagne » durant les guerres napoléoniennes. « La Russie aurait donc versé son sang pour nous autres, Allemands ? » répond ironiquement Marx, et il continue : « Sans parler de la manière dont la Russie a " contribué ", avant 1812, à l' " intégrité "et l' " indépendance " de l'Allemagne par l'alliance ouverte et les traités secrets avec Napoléon, elle s'est plus tard dédommagée abondamment de sa prétendue aide, par la rapine et le pillage (...). La maison des Romanov, avec ses diplomates, peut être rassurée : nous n'oublierons jamais cette dette-là 23 • » Engels revient longuement à la charge, douze ans plus tard, dans son pamphlet La Savoie, Nice et le Rhin (1860) : « Les Allemands n'oublient pas ce qu'ils doivent à la Russie », et c'est « l'épée à la main » qu'ils doivent répondre aux « insultes », aux « menaces », aux « humiliations » que la Russie leur a infligées :! 4 • D'ailleurs l'Allemagne n'est pas seule en cause : tous les Etats européens ont été, tour à tour ou simultanément, manipulés par cette « puissance barbare dont la main se retrouve dans tous les cabinets de l'Europe ». « L'intérêt per22. Marx-Engels : La Note russe, 3 not\l 1848; w, V, 297. 23. Ibid., V• 29•1. 24. '¾', XIII, 609-614.

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