154 concre le sultan Mahmoud II la guerre pour l'affranchissement des Grecs, après le refus de Mahmoud de laisser avancer une armée russe pour réprimer l'insurrection de ces mêmes Grecs. Et de même qu'Alexandre 1er poussa la générosité jusqu'à donner à la France, en sus d'une Constitution, un premier ministre russe, le duc de Richelieu, de même Nicolas, dans sa sollicitude paternelle, donna aux Grecs comme président un général russe [ ?] , le comte Capo d'Istria. Et, bien que, depuis l'explosion de la révolution de juillet 1830, Nicolas jouât principalement le rôle de protecteur de la légitimité, il ne négligeait pas un seul instant de lutter pour l' « affranchissement des nationalités ». La révolution constitutionnelle de la Grèce, en septembre 1843, était dirigée par l'ambassadeur russe à Athènes [?]. Le centre de la révolte bulgare de 1842 se trouvait au consulat russe de Bucarest ( ...). Pendant l'insurrection serbe de 1843, la Russie, par son ambassade à Constantinople, poussait la Turquie à des mesures de violence contre les Serbes, a.ân de pouvoir, forte de ce prétexte, faire appel, contre la Turquie, à la sympathie et au fanatisme de l'Europe. L'Italie n'était pas exclue non plus des plans d'affranchissement du tsar Nicolas 15 • C'est au nom du « principe des nationalités », dit Engels, que la Russie a absorbé la plus grande partie de la Pologne : « Ce prétendu principe lui fournit le prétexte pour incorporer à la Grande Russie les petits-russiens habitant les provinces orientales de la Pologne 16 • » Les Russes, ajoute Marx, ne se donnent même pas la peine de cacher leur jeu : Dans un mémorandum préparé pour le tsar actuel par le cabinet russe en 1837, nous lisons : « La Russie n'aime pas s'incorporer immédiatement des Etats comprenant des allogènes ( ...). Il semble plus indiqué, quand il s'agit de pays dont l'acquisition est décidée, de les laisser exister quelque temps sous des chefs particuliers, mais dans l'entière dépend::mce de ]a Russie, comme nous l'avons fait pour la Moldavie, la Valachie, etc. » Ainsi, avant d'annexer la Crimée, la Russie en a proclamé l'indépendance. De même, dans une proçlamation russe du 11 décembre 1814, il est dit entre autres : « L'empereur Alexandre, votre protecteur, fait appel à vous, Polonais. Armez-vous pour la défense de votre patrie et le maintien de votre indépendance politique ! » C;est encore mieux quand nous passons aux provinces danubiennes 17 ... L'histoire des principautés danubiennes étant, comme chacun sait, au centre des polémiques soviéto-roumaines, il n'est pas sans intérêt de connaître l'opinion de Marx sur le sujet : Depuis le jour où Pierre le- Grand a fait occuper ces principautés par ses troupes, la Russie n'a cessé de travailler pour leur indépendance. Au congrès de Niemirow (1739), l'impératrice Anne réclama du sultan l'indépendance des principautés danubiennes sous le protectorat russe. Au congrès de Fokshani 15. Herr Vogt, 1860; W, XIV, 499-500 (trad. franç., Il, 18 sqq.). 16. Op. cit.; W, XVI, 162. 17. Herr Vogt ; W, XIV, 498 (Il, 16-17). •BibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES ( 1772), Catherine II exigea l'indépendance des principautés · sous le protectorat de l'Europe. Alexandre 1er continua ces efforts et les confirma par la transformation de la Bessarabie en province russe (paix de Bucarest, 1812). Lorsqu'en 1812 la Turquie fut battue par la Russie, elle céda à cette dernière une partie de la province de Moldavie que les Russes baptisèrent Bessarabie : utilisant l'étymologie du nom de l'ancienne dynastie roumaine des Bassarab, ils indiquaient par là même le caractère roumain des populations et des territoires qu'ils venaient d'annexer. Tel n'est pas l'avis des interprètes « orthodoxes » de la « science » marxiste-léniniste. Comme le rappelait récemment le premier secrétâire du P.C. de la « République soviétique socialiste » de Moldavie dans une violente diatribe contre les « falsificateurs bourgeois de l'histoire », « la Bessarabie n'a jamais fait partie du terri~oire roumain ( ... ). Même dans les conditions de l'exploitation tsariste, notre peuple ressentait sa condition privilégiée par rapport aux voisins de l'Ouest [ les Roumains restés sous la tutelle turque]. Nos enfants, et les générations à venir, doivent savoir que leurs pères n'imaginaient pas d'existence possible hors de la Russie 18 • » Au premier rang des « falsificateurs bourgeois de l'histoire », il faut compter Karl Marx en personne. Le tsar Nicolas, dit-il, « fit le bonheur des Roumains en leur donnant Kisselev et en leur octroyant le Règlement organique, encore en vigueur à notre époque [ 1860], qui organisait le servage le plus infâ·me, au milieu des applaudissements que ce code de la liberté arrachait à toute l'Europe 19 ». Pour montrer combien il était difficile d' « imaginer une existence possible hors de la Russie », Marx revient longuement sur ce sujet dans le Capital : Sous prétexte d'abolir le servage, la Sainte Russie, la libératrice de l'humanité, l'érigea en loi. La Russie conquit ai.nsi du même coup les magnats danubiens et les applaudissements du crétinisme libéral de l'Europe entière. Selon le Règlement organique, tout paysan valaque doit au propriétaire foncier 14 jours par an. Or, avec une profonde sagacité économique, on a eu soin d'entendre par journée de travail, non pas ce qu'on entend ordinairement par ce mot, mais la journée de travail nécessaire pour obtenir un produit journalier moyen, et ce produit journalier moyen a été déterminé avec tant de rouerie qu'un cyclope n'en viendrait pas à bout en vingt-quatre heures. Le << règlement, » lui-même déclare donc, avec une pointe d'ironie typiquement russe, qu'il faut entendre par 14 jours de travail le produit d'un travail manuel de 42 jours... Si l'on ajoute les corvées supplémentaires, on obtient un total de 56 jours de travail par 18. Discours d'Ivan Bodul, in Sovietskaia Moldavia, 16 fév. 1967. 19. Herr Vogt, loc. cit.
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