L'OCCIDENT ET LA RUSSIE par Kostas Papaioannou Il Marx russophobe CE QUIEFFRAYAITle plus les Occidentaux, vers le milieu du siècle dernier, c'était l'extraordinaire efficacité de la diplomatie russe. « Il semble que la Russie possède le don de fasciner ses ennemis et de les faire coopérer à son élévation et à sa grandeur », écrivait en 1851 l'auteur anonyme de La Russie considérée au point de vue européen 1 . De son côté, Michelet se déclarait horrifié par « cette force dissolvante, ce froid poison que la Russie fait circuler peu à peu, qui détend le nerf de la vie, démoralise ses futures victimes et les livre sans défense 2 ». « Deux puissances, ajoutait-il, ont seules connu la mécanique du mensonge, et l'ont pratiqué en grand : les Jésuites et les Russes. Ministres, diplomates, observateurs, espions de divers rangs et des deux sexes, le tout forme un même corps, une sorte de jésuitisme politique » dont les agissements sont à l'origine d'une « Iliade de fraudes telles qu'aucun âge antérieur n'eût pu même les concevoir ». L'exemple polonais COMMECusTINE, comme la plupart de ses contemporains, Michelet pensait surtout à la Pologne. Pour Marx aussi la Pologne était la pierre de touche par excellence : « Tou tes les révolutions depuis 1789 donnent la mesure de leur force et de leur vitalité dans l'attitude qu'elles adoptent envers la Pologne : elle est leur thermomètre international 3 • » Personne n'avait oublié, c'est-à-dire personne ne voulait oublier l'effroyable répression des insurrections 1. Cité par Charles Corb<'l : L'Opinion fra11çai.,e face 4 l'inconnue ruHe, op. clt., p. 274. 2. Ugende1 démocratique., du Nord, pp. 42-43. 3. Lettre à Engela du 2 décembre 1856. Biblioteca Gino Bianco de 1830-31 et de 1863. En 1831, les tribunaux avaient confisqué et distribué à des Russes le dixième de la propriété privée polonaise. Comme preuves de la « barbarie tsariste », on citait les chiffres des condamnations à mort (249 émigrés) et au bannissement perpétuel : 2.590 personnes, et ce qui paraissait alors la chose la plus révoltante, c'était la déportation de 4 5 .000 familles polonaises sur les bords de la Volga et du Kouban. L'horreur fut portée à son comble lors de la révolution de 1863, noyée dans le sang par Mouraviev, le « pendeur », que les Russes célébrèrent comme un héros du slavisme. On avançait des chiffres qui paraissaient incroyables pour l'époque : peutêtre 60.000 ou 70.000 déportés en Sibérie ... C'est en réponse à l' « assassinat de l'héroïque Pologne » que Marx introduisit dans l' Adresse inaugural,e de l'Association internationale des travailleurs (1864) un paragraphe invitant le prolétariat mondial à << percer les mystères de la politique internationale » et à combattre « les vastes empiétements de cette puissance barbare dont la tête est à Saint-Pétersbourg et dont la main se retrouve dans tous les cabinets de l'Europe 4 ». Qu'aurait-il dit s'il avait vécu à l'époque de son « plus génial disciple » ? Un autre passage de l'Adresse inaugurale fustige « l'approbation sans vergogne, la compassion apparente ou l'indifférence stupide avec lesquelles les classes supérieures d'Europe ont contemplé la conquête du Caucase et l'assassinat de la Pologne par les Russes ». Mais c'est sous les applaudissements enthousiastes des « révolutionnaires » du monde entier qu'en 1938 Staline poussa sa « sollicitude paternelle » 4. W, XVI, p. 13 (Pl<-inde, l, 468).
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