150 interne de Raskolnikov, même si leur mauvaise interprétation du livre les met dans l'impossibilité d'expliquer ce qu'est cette unité, ou comment elle a été obtenue. * * * Nous EN AVONS peut-être assez dit pour expliquer pourquoi on n'éprouve pas de réelle surprise quand Raskolnikov confesse à Sonia qu'il a commis le .crime pour lui seul, et uniquement afin de voir s'il était assez fort pour avoir le droit de tuer. Simple reconnaissance, par le héros, de ce que l'auteur a fait sentir au lecteur dès les premières pages. Nous conclurons par quelques observations sur l'extrême adresse de Dostoïevski dans le maniement de la relation entre structure et thè1ne dans Crime et Châtiment. Dans la deuxième partie du livre, l'auteur commence à combler la brèche qui existe entre la connaissance qu'a le lecteur de Raskolnikov et celle que celui-ci a de lui-même. Au cours de cette deuxième partie, en effet, comme il commence à guérir d~ sa maladie, Raskolnikov se prend à examiner toutes les anomalies du crime et à se rendre compte qu'il ne sait plus pourquoi il a été commis. A cet endroit, il retrouve son ancien article : « Sur le Crime », qui montre à quel point l'égomanie a toujours constitué une partie inséparable de l'amour de l'humanité, tel que le_définit l'utilitarisme. Bien qu'il l'ait soigneusement ébauché plus tôt, Dostoïevski retarde le plein développement de ce motif jusqu'à ce qu'il devienne pertinent à la fois de répondre aux propres questions de Raskolnikov sur son crime et de cristalliser et préciser les premières impressions du lecteur. L'expérience du crime, cependant, a maintenant révélé à Raskolnikov que les sentiments qui ·sibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES inspiraient son amour altruiste de l'humanité ne peuvent coexister dans une même sensibilité avec les sentiments qui font un Napoléon, un Solon ou un Lycurgue. Car le vrai grand homme, possédé par le sens de sa mission, ne saurait se soucier des souffrances de l'humanité qu'il piétine en vue d'en assurer le bonheur futur. Une fois la théorie originelle de Raskolnikov ainsi mise en pièces, le héros doit choisir entre, d'une part, l'amour chrétien non utilitariste et le sacrifice de soi-même illustrés par Sonia, d'autre part, la complète amoralité conduisant à la destruction de soi-même chez un Svidrigaïlov. Le plan de la dernière moitié du livre reflète ainsi clairement le propos de l'auteur, qui était de persuader ses lecteurs de l'intelligentsia radicale qu'ils avaient à choisir entre une doctrine d'amour et une doctrine de puissance. L'une et l'autre sont incarnées, nous avons essayé de le montrer, dans l'étrange mélange d'impulsions et d'idées qu'on a appelé le nihilisme russe. Que les attaques de Dostoïevski aient produit leur effet, la preuve en est le changement survenu dans l'idéologie radicale au cours des années 70, lorsque l' « égoïsme rationnel » fut abandonné pour une éthique d'amour chrétienne et sécularisée. Disons, pour finir, combien nous a toujours intrigué le fait que le jeune et impressionnable Pissarev a sangloté en lisant Crime et Châtiment. Est-ce parce qu'il s'est reconnu qu'il pleure ? Quoi qu'il en soit, cela ne l'a pas empêché d'écrire immédiatement un article, qui est devenu un classique de la critique russe, prouvant que le crime de Raskolnikov fut en réalité causé par la faim et une mauvaise hygiène alimentaire ... JOSEPH FRANK. (Traduit de l'anglais) ,
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