Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

96 Philippe, tenait les propos les plus rassurants sur la stabilisation politique et sociale sous la monarchie de Juillet. (Seuls Marx et Engels, dont les bien-pensants n'omettent de signaler aucune erreur, devancèrent de peu l'événement par leur Manifeste écrit à la veille de la révolution, et que personne n'avait lu en France). Au sujet de la Commune de 1871, Benoît Malon a remarqué : « Jamais révolution n'avait plus surpris les révolutionnaires.» De fait, Bakounine quittant la France vers la fin d'octobre 1870 écrivait à un ami : « Je n'ai plus aucune foi dans la révolution en France. Ce pays n'est plus révolutionnaire du tout. Le peuple lui-même y est devenu doctrinaire, raisonneur et bourgeois (...). Je quitte ce pays avec un profond désespoir dans le cœur »; la Commune de Paris fut proclamée quatre mois et quelque plus tard. Quant à Lénine, grand maître de l'ordre des révolutionnaires professionnels, il conclut un discours à Zurich en 1917, un mois avant la révolution de février-mars à Pétrograd : « Nous, les vieux, ne vivrons peut-être pas jusqu'aux batailles décisives de la révolution à venir ... » Lui aussi a dû, in petto, tout en se félicitant de son erreur, se tirer d'embarras intellectuel en pensant à l'ironie de l'histoire. Il ne sera pas question ici de tenter l'analyse des phénomènes qui viennent d'illustrer inopinément les annales de la societé contemporaine, non seulement en France, mais dans nombre de pays pour ce qui a trait aux étudiants en révolte, aux crises universitaires - la simultanéité d'une grève quasi générale des travailleurs ayant été spéciale à la France. Déjà pullulent les ouvrages traitant du mal de la jeunesse depuis la guerre pourrie par Hitler et pendant la paix pourrie par Staline. Sur les émeutes du Quartier Latin, les barricades et les incendies à Paris et en province, la documentation et les commentaires s'accumulent en masse qu'il est impossible de parcourir au fur et à mesure, encore moins d'assimiler pour une étude critique sérieuse. Il faudra du temps et du recul, ne serait-ce que pour laisser les matériaux se décanter et pour en dégager des traits durables. Les comparaisons avec ce qui s'est passé dans d'autres pays s'imposent si l'on entend discerner ce qui fut original ici, et imitation là, ce qui restera épisodique ou superficiel, ce qui marquera soit une étape, soit un tournant, peut-être une mutation historiques. Beau sujet de thèse future pour un candidat sérieux au doctorat (il y en a, il y en aura encore). Dans l'actualité immédiate on se bornera à de brefs -aperçus qui ne feront pas double emploi avec ce que le public tient de sa presse habituelle et de ses mentors politiques, lesquels ont eu toute licence de s' exprimer à la faveur d'une campagne électorale aussi verbeuse que décevante et qui, par définition, ne permettait pas d'aller au fond des choses puisqu'il s'agit en pareil cas de rechercher non la vérité, mais des suffrages. BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL MONTESQUIEU, sociologue avant la lettre, a judicieusement formulé l'exigence intellectuelle de renouveler les notions admises, de les remettre en cause de vingt ans en vingt ans, dans des conditions changeantes, et peut-être fut-il en cela... le père du révisionnisme. Les dissertations historiques font état grosso modo de trois générations par siècle. La génération née de la guerre de 1940 est entrée en scène, un peu partout, d'abord sous forme d'excentricités vestimentaires et d'extravagances pseudo-artistiques, ensuite par des revendications tapageuses et confuses sur le plan scolaire et social où parfois le meilleur se mélange au pire. La jeunesse française n'a pas été à l'avantgarde de l'innovation protéiforme surgie de toutes parts, ses initiatives se limitant à un ordre inférieur qui ne. mérite pas pour l'instant qu'on s'y arrête; elle a surtout suivi et copié des modes venues d'Angleterre, de Suède, de ~ Hollande et finalement d'Amérique. Cependant les émeutes, les barricades et les incendies de mai 1968 ont revêtu un caractère spécifique local qui le distingue des troubles constatés ailleurs. Des « groupuscules», comme disent les politiciens dépités d'avoir été débordés par les débordements d'extrémistes à prétentions doctrinaires, ont joué un rôle apparemment hors de proportion .avec leur importance réelle. Des idées ont été mises en avant, mais lesquelles, et qu'en vaut l'aune? Il convient avant tout de reconnaître ce qu'il y a de positif dans la remise en question des traditions et routines universitaires. Quelqu'un a eu la bonne idée de publier dans le Monde du 7 juin un passage de la Réforme intellectuelleet morale où Renan, après le désastre de 1870, recommandait de réformer d'urgence l'enseignement supérieur, de revenir à l'ancienne autonomie des Universités, d'en finir avec la centralisation étouffante imposée par la Révolution et l'Empire. Près d'un siècle s'est donc écoulé avant que les « princes qui nous gouvernent» daignent reconnaître le bien-fondé de l'argumentation, la nécessité de franchises universitaires, outre le besoin de moderniser les méthodes pédagogiques, les critères de la sélection, la procédure des examens, la gestion des établissements d'études supérieures. l\,fais il a fallu pour cela que des jeunes gens déchaînés (par des mobiles très disparates) occupent la Sorbonne et les Facultés, dépavent des rues pour dresser des barricades et se procurer des projectiles contre la police, arrachent des arbres et des palissades, renversent ou incendient des voitures, saccagent des locaux respectables et brisent un précieux matériel scientifique. Car à côté de •mécontentements et de réclamations légitimes, il y eut l'inévitable surenchère des « exagérés» qui se complique du dévergondage des polissons et des velléités érostratiques d'apprentis nihilistes. Il est certain qu'un grand nombre d'étudiants sans tendance politique ont participé à l'action

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