Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

YVES LÉVY nelle transformera du même coup les conditions futures d'une nouvelle révision constitutionnelle. C'est là un point capital, car personne n'est en droit de supposer qu'avec la suppression du Sénat et des communes rurales, le général de Gaulle tiendra son œuvre constitutionnelle pour achevée. L'article 89 de la Constitution prévoit que tout projet de révision doit être voté par les deux assemblées, puis soumis au référendum. Mais il ajoute (3e alinéa) que « le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés ». La Constitution prévoit donc deux procédures : ou bien les deux assemblées votent le projet à la majorité simple, et la nation le ratifie, ou bien le congrès vote le projet à la majorité des trois cinquièmes. En 1962, parce qu'aucune de ces procédures ne pouvait lui réussir, le général de Gaulle, avec un sansgêne de général de coup d'Etat, en créa une troisième, à laquelle, selon sa morale professionnelle de juriste, consent le doyen Vedel. Mais il est clair que si, grâce à cette troisième procédure, le Sénat disparaît dans la trappe, tout le système de la révision se trouvera bouleversé. Il n'est pas nécessaire d'en parler d'avance, et si messieurs les professeurs de droit constitutionnel se taisent, nul ne s'en doutera. Après coup, on s'apercevra soudain que le congrès est réduit à la seule Assemblée nationale, et que le vote de quelque 295 députés suffit à modifier la Constitution. Et même sensiblement moins, car si l'Elysée n'arrive pas, pour telle modification excessive, à obtenir le concours de tous les gaullistes, le ministère pourra du moins acheter quelques abstentions, ce qui réduit proportionnellement le nombre des voix nécessaires. BibliotecaGino Bianco 143 On voit donc que le problème n'est nullen1ent, comme le dit le doyen Vedel, de savoir si la révision constitutionnelle par le seul référendum - qui ne figure pas dans la Constitution - est entrée définitivement dans la pratique. Le problème est de savoir si la Constitution sera à la merci de l'Assemblée nationale, et plus précisément d'une majorité qualifiée élue par moins de la moitié des votants. La question n'a rien d'académique. Cette année le président bénéficie par chance exceptionnelle du concours d'une partie de ses adversaires, et leur aveuglement peut lui permettre de réussir ce qui, depuis six ans, lui était impossible. Mais cet assentiment de l'adversaire, dont il bénéficie sur le point qui est en jeu, il ne pourrait espérer de l'obtenir pour certaines révisions constitutionnelles futures, et cela lui fermerait de nouveau la voie du référendum. Si par exemple le chef de l'Etat voulait supprimer le vote de censure, ou prolonger son mandat, ou prolonger le mandat d'une Assemblée qui aurait vocation à être conservée comme la précédente avait, selon le chef de l'Etat, vocation à être dissoute, il ne pourrait vraisemblablement compter que sur les 36 ou 38 % des électeurs qui le soutiennent, et forment au plus 45 % des votants. Levé le barrage du Sénat, le président n'aura plus de frein à son ambition. Et mettant de nouveau à profit, comme il vient de faire, une situation créée par une fraction de ses adversaires - voire une situation créée par ses provocateurs, puisque notre morale professionnelle de politiste nous oblige à reconnaître que le système du provocateur est entré dans la pratique républicaine - il pourra conduire sa majorité parlementaire à lui accorder tout ce qu'il désire. Il ne lui restera plus qu'à aller nous gouverner à Trianon. YVES LÉVY.

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