142 que Maurice Duverger se réjouisse de cette mesure, sans que ni l'un ni l'autre songe à examiner pourquoi le général de Gaulle a résolu de tuer le Sénat. Le premier à vrai dire ne s'exprime qu'en juriste, et ne s'interroge pas sur la finalité du projet. Mais le second, on l'a vu, estime intolérable « que les représentants d'une faible minorité imposent leur loi à la majorité ». Pour qu'elle devienne parfaitement claire, transcrivons cette phrase en termes d'institutions : nous dirons donc que Maurice Duverger, professeur de droit constitutionnel, estime intolérable qu'à l'heure actuelle le Sénat, représentant de la minorité rurale, impose sa loi à l'Assemblée nationale, expression de la majorité urbaine et industrielle. Il suffit de traduire ainsi pour découvrir que cet auteur se moque de ses lecteurs, ou que la passion - mais quelle passion ? - l'aveugle au point qu'il défigure sur un point capital l'histoire constitutionnelle que nous vivons. Si Maurice Duverger écrivait avec les mots du professeur au lieu d'user des termes vagues du journaliste - mais il est journaliste dans l'âme - il serait peut-être un peu moins partisan et un peu plus homme de science, ou simplement homme de réflexion. Donc Duverger écrit une contre-vérité. Ne nous attardons pas à noter que la majorité actuelle de l'Assemblée ne représente pas tout à fait la moitié des votants : ce n'est pas en contradiction avec la règle du jeu. Mais chacun sait que le pouvoir politique du Sénat se limite à proposer à l'Assemblée nationale des amendements que celle-ci, souverainement, accepte ou rejette. Si le pouvoir politique du Sénat est inexistant, on se demande ce que Maurice Duverger lui reproche. D'être inutile et de coûter quelque argent ? Mais il préconise que le Sénat soit remplacé par un organe consultatif encore plus inutile et sans doute non moins coûteux. De sorte que Maurice Duverger et le Nouvel Observateur condamnent le Sénat sans savoir pourquoi, en donnant des raisons fausses, et sans se demander quelles sont les raisons vraies du général de Gaulle, à qui ils feignent d'ordinaire de s'opposer, et qu'ils soutiennent, en cette occasion, avec une surprenante inconscience. * * * QUELLES PEUVENT donc être ces raisons vraies du général de Gaulle ? Veut-il simplement se venger de M. Monnerville, voire de M. Marcilhacy ? Il serait ridicule de le penser. Certains expliquent la politique du général de BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Gaulle par la vengeance - ces derniers temps, le mot s'est fait entendre mainte fois à propos de l'épuration de l'O.R.T.F. - mais c'est là une explication spécieuse. Ses vues politiques suffisent à expliquer qu'il ait sacrifié les Français d'Afrique du Nord, combattu l'influence américaine, repoussé l'Angleterre. Seules elles peuvent rendre compte de son attitude à l'égard d'Israël. Et si aujourd'hui on épure l'O.R.T.F., si l'on emprisonne les étudiants pour délit d'opinion, ce n'est pas une vengeance, ce sont des mesures destinées à sauvegarder l'ordre public - l'ordre public tel que le conçoit notre président. En ce moment, on couvre les rues du quartier Latin de ce pavé avec lequel, ainsi rêvait Mercadet, « on ne pouvait pas faire de barricades » ( car sous Louis-Philippe comme aujourd'hui, on songeait à tous les moyens de contenir la démocratie). Là est le nœud du problème. De même que le président veut avoir les mains libres à l'extérieur et n'être lié ni par une alliance, . . ~ . . n1 par une union econom1que, n1 par un principe, ni par la fidélité à une orientation quelle qu'elle soit (car il pratique aisément le renversement des alliances), de même, à l'intérieur, il veut être roi, ne dépendre de personne, et que personne ne puisse s'opposer à lui. Serait-il d'ailleurs le bon berger qu'il veut être s'il laissait, par exemple, l'esprit partisan pérorer à l'O.R.T.F., alors qu'il dépend de lui que seul le bien commun s'y exprime? Non certes. C'est lui qui incarne le bien public, et toute opposition est une damnable - voire condamnable - activité partisane. Or, en quoi le Sénat peut-il s'opposer à lui ? En rien, s'il s'agit de politique : le Sénat est un néant. Mais qu'importe la politique ? Le général de Gaulle ne s'intéresse pas à la politique, et tout ce qui est politique, il appelle cela l'intendance. Depuis dix ans, la seule chose qu,i intéresse le général de Gaulle, à l'intérieur, c'est l'accroissement de son pouvoir, c'est le combat constitutionnel. Et il se trouve que si le Sénat n'est rien en politique, son rôle de garant de la Constitution est fondamental. Il est curieux qu'il faille, à des professeurs de droit constitutionnel, révéler ce point, qui semble leur avoir échappé. Le doyen Vedel examine si le président peut légitimement violer de nouveau l'article 89 de la Constitution, et faire supprimer le Sénat par référendum grâce à la minorité qui le suit, avec, pour faire l'appoint, les lecteurs du Monde, ceux du Nouvel Observateur et les fidèles du club Jean Moulin. Mais il ignore ou il dissimule que cette réforme constitution-
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