LE CHEMIN DE LA MONARCHIE par Yves Lévy E N 1958, usant de son immense prestige, servi par son prodigieux génie tactique, le général de Gaulle sauvait la République. Depuis, un peu à la hussarde, insoucieux des règles et des textes - et toujours génial tacticien - il n'a plus cessé, d'année en année, de sauver une République qui lui semblait toujours en danger. Dix ans ont passé, et notre saint Georges, une fois de plus, vient de tirer le pays des griffes du démon. Est-ce le dernier combat? Allons-nous maintenant respirer ? Le héros proclamera-t-il que la France, désormais, est régénérée, qu'enfin est venu le septième jour, et qu'il va pouvoir se reposer ? Non. Le démon, qui ne le sait ? est à l'affût, qua~ens quem devoret, et surtout, si le Bien est un, si le général de Gaulle est unique, le démon, lui, est multiple. Vaincu sous une forme, il apparaît aussitôt sous une autre, sous dix autres. Est-ce bien cela ? Non. Le démon n'est pas un être protéiforme qui passe d'une forme dans une autre. Le chef sait bien que le démon est partout. Mais il ne montre du doigt, à chaque moment, que son aspect le plus dangereux, et surtout le plus évident. La victoire acquise, il désigne aussitôt à la nation une autre figure du démon. Le combat sera long. Si long, que le chef. à coup sûr, sera contraint de rester à la barre jusqu'à son dernier jour, et sans doute laisserat-il son œuvre inachevée. C'est qu'il s'agit de nettoyer la France de toutes les verrues qui s'y sont formées au cours de près de deux siècles d'anarchie. Il s'agit de balayer l'opposition, BibliotecaGino Bianco cette poignée d'égarés que manœuvre l'étranger : sous la monarchie même, l'opposition a toujours été inspirée ou fomentée par l'étranger, tandis que les bons, les vrais Français, toujours, se sont rassemblés autour du trône. Hormis les agents du dehors, tous les Français ont vocation à être unis sous leur chef. Il s'agit aussi de ruiner toutes les institutions dont pourrait user une opposition pour s'exprimer ou pour agir, toutes ces mauvaises institutions qui, nées depuis la chute de l'absolutisme, ne sont pas dans la main du prince. C'est là un immense labeur, mais auquel il n'est nullement surprenant que le général de Gaulle se soit attaché. Ce qui l'occupe, chacun le sait, c'est la grandeur de la France, sa grandeur par rapport aux autres pays. A ses yeux, le visage d'un pays, c'est exclusivement sa puissance - puissance en kilotonnes d'explosifs, puissance en tonnes d'or. Il vit dans le quantitatif. D'ailleurs, tant comme militaire que comme chef d'Etat, il a toujours été conduit à mettre au premier plan les rapports de force avec les Etats étrangers. Militaire ou diplomate, il était naturellement conduit à souhaiter que le pays fût dans sa main comme une force unique, la plus grande possible, et dont il pût user à sa guise. L'armée et la diplomatie sont toujours d'esprit monarchique, esprit bien visible chez la première, où la hiérarchie est ostentatoirement mise en vedette, moins évident mais non moins certain chez la seconde : dans les pays où ]a discussion est le plus libre, il n'est pas rare que le responsable de la diplomatie prenne des décisions sans en référer aux représentants de la nation, et les raisons en sont évidentes, soit que la décision ne puisse souffrir de délai, soit qu'une discussion publi-
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