Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

1. GETZLER applicable ; mais sous le pouvoir d'Etat communiste, avec sa Tchéka omnipotente et omniprésente, l'activité clandestine est périlleuse à l'extrême. Martov ne l'ignore pas, lui qui écrit à un ami : ... pour une partie des citoyens ordinaires (les communistes et ceux dont l'intérêt se confond avec celui du régime), la dénonciation, la perquisition et la surveillance sont non seulement moralement licites mais un devoir absolu 48 • De plus, les méthodes bolchéviques de Gleichstaltung auront tôt fait d'assurer au pouvoir une mainmise complète sur toutes les institutions de la vie sociale - notamment les syndicats, les coopératives et les mutuelles - ce qui élimine le dernier champ d'action ouvert aux opposants. Il va sans dire que dans les années qui suivent Octobre, rien n'empêche les menchéviks, pris individuellement, de « s'en sortir » en se ralliant au bolchévisme - dans l'espoir, mettons, de réformer le parti communiste de l'intérieur. Ceux qui s'y résolvent seront reçus les bras ouverts : ainsi Ivan Maïski, Alexandre Martynov, G. V. Tchitchérine, A. I. Troianovski, L. M. Khintchouk et enfin le trop fameux André Vychinski reçoivent dans l'Etat bolchévique de hautes responsabilités. Certains réussiront même à survivre sous Staline. En revanche aucun des leaders reconnus du menchévisme n'admettra ne fût-ce que l'hypothèse d'une telle « capitulation » 49 ; leur cause, ils la défendront envers et contre tous, jusqu'à la fin. En Union soviétique, cette fin survient en 1921 : ce sera la prison d'abord, ensuite l'exil. Une cause perdue ETANT DONNÉ le sort que leur réservera le régime d'Octobre, on est en droit de se demander pour quelle raison les menchéviks l'ont soutenu si loyalement pendant la guerre civile et l'intervention étrangère, pourquoi ils ont tout fait, en pratique, pour hâter la reconnaissance diplomatique d'un Etat dont ils dénoncent eux-mêmes la nature dictatoriale et terroriste. Les nouveaux maîtres de la Russie en méritaient-ils autant ? Mais quelles étaient, en 1917-1918, les choix possibles pour les menchéviks ? De « capitulation » il ne pouvait même être question pour 48. Lettre inédite. Marlov à Alexandre Stein, 25 octobre 191 s. dans la collection Boris Nlcolaïevski. Hoover Institution on War, Rovolutlon and Pence. Unlversltô de Stanford (Californie). 49. Ibid. BibliotecaGino Bianco 135 un parti qui s'était donné pour chef un Martov. Se joindre aux socialistes-révolutionnaires et combattre ouvertement le régime? Mais les menchéviks pensaient, à tort ou à raison, que ce serait favoriser la contre-révolution. Bref, s'ils ne voulaient pas tout simplement mettre fin à leur existence de parti politique, les menchéviks n'avaient d'autre choix que de faire ce qu'ils ont fait. De plus, ce qu'ils ont fait s'accordait avec leur interprétation de la révolution d'Octobre et du régime qui en était issu. Certes les menchéviks condamnaient résolument le coup de force bolchévique, de même que toute tentative « maximaliste-utopiste » pour précipiter dans une expérience socialiste une nation paysanne - et cela en l'absence de toutes les conditions préalables nécessaires. Mais ils n'en concluaient pas pour cela à la dépravation de l'équipe responsable de la dictature et de la terreur : les chefs bolchéviques n'étaient pas à leurs yeux autant de scélérats et d'aventuriers assoiffés de pouvoir. Pour les menchéviks, le but des bolchéviks - qu'ils croyaient connaître intimement - était bien d'instaurer un ordre socialiste, mais en usant du pouvoir coercitif de l'Etat pour suppléer au manque de base industrielle et sociale. Or une telle expérience était, selon les menchéviks, condamnée d'avance si elle devait dépendre de moyens tels que la dictature et la terreur. Non qu'ils s'attendaient, du fait de cet échec inéluctable, à la chute imminente du régime ; d'ailleurs dans leur for intérieur ils ne la souhaitaient pas, puisqu'à leurs yeux la seule possibilité sérieuse en dehors du bolchévisme était la contre-révolution. Et ils haïssaient celle-ci plus encore qu'ils ne craignaient celui-là ; ils caressaient encore l'espoir d'une métamorphose du bolchévisme. D'où l'attitude des menchéviks pendant les années cruciales 1917-1921. Mais pour entamer le roc du pouvoir d'Etat bolchévique, il ne suffisait pas d'espoir, de persévérance et de courage. La guerre civile est gagnée, le pays en ruines, lorsque les bolchéviks finissent par adopter, sous forme de la nep, l'essentiel du programme économique des menchéviks. Au régime le moment paraît bien choisi pour en finir avec le menchévisme. Ses chefs, harcelés depuis tant d'années, sont incarcérés, puis envoyés en exil :m. Nous sommes en 1921 - et c'est un moment bien sombre, pas seulement pour les 50. Marlov lul-m~mo nvait quit lé ln nu sie vers ln fin de 1920 pour participer ù un congr~s en Allemagne. Gravement mnlnde depuis longtemp • il mourut en 1923 dans un snnnlorlum ollt'mancl.

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