Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

1. GETZLER Kornilov - c'est-à-dire un choix bien tranché entre deux formes de dictature - mais entre un gouvernement des soviets placé sous l'égide démocratique de l'alliance menchévique-socialiste-révolutionnaire et légitimé par une Constituante rapidement convoquée, ou un gouvernement des soviets sous l'égide des bolchéviks. Pour consolider les conquêtes de Février et maintenir leurs propres positions du début, les menchéviks devaient assumer le pouvoir, devenir eux-1nêmes le gouvernement. C'était la seule façon d'assurer la mise en place rapide de l'Assemblée constituante et l'adoption des solutions menchéviques aux problèmes de la réforme agraire, des nationalités, des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, du contrôle de l'économie et, en tout premier lieu, de la guerre et de la paix. Concilier les contraires n'avait certes rien de facile : pour la Russie la paix était une nécessité brûlante, pour ses alliés le but était toujours la défaite complète de l'Allemagne. Et pourtant, quel que fût le mérite intrinsèque du « défensisme révolutionnaire » de Tséretelli et de Dan, leur position ne manquait pas de logique : l'intérêt de la Russie lui commandait de rester en guerre cependant qu'elle exercerait sur les Alliés une pression maximale, à la fois directe (à la conférence qui devait se tenir à Paris) et indirecte (par l'intermédiaire des partis socialistes des pays belligérants et neutres, pendant et après la Conférence de Stockholm) en faveur d'une paix négociée « sans annexions ni indemnités », selon la formule préconisée par les soviets. Encore fallait-il, pour réaliser une telle politique de paix, un gouvernement qui lui fût favorable. Or l'ironie du destin a voulu que le « coalitionnisme » menchévique n'aboutisse qu'à une succession de cabinets Kérenski, dont le ministre permanent des Affaires étrangères, M. I. Térechtchenko, faisait de son mieux pour saborder la poli tique de paix. D'autre part, en admettant même que l'offensive Kérenski de juin 1917 - que soutenaient les dirigeants menchéviques - pût se justifier sur le plan militaire ( ce qui n'était pas le cas, en raison de l'état lamentable de l'armée), le moment était si mal choisi qu'elle perdait tout sens politique. En effet, pour obliger les A1liés à tenir compte de son besoin désespéré de paix, la Russie ne disposait plus que d'une carte - et cette carte, c'était précisément l'ultime offensive en question. Or cette carte perdait toute valeur à partir du moment où on la jouait avant d'aboutir à un accord avec les Alliés. BibliotecaGino Bianco 133 Si les menchéviks ont échoué, c'est donc parce qu'ils sous-estimaient le pouvoir d'Etat, qu'ils ne comprenaient pas que la prise du pouvoir est une partie intégrante de la révolution, voire son plein accomplissement. Leur erreur, ce fut celle-là même que relevait déjà Saint-Just : « Ceux qui font des révolutions à demi ne font que creuser leurs tombeaux. » Après Octobre Sr L'HISTOIRE du menchévisme sous le Gou- . . ' ' . vernement provisoire n est qu une suite accablante d'occasions manquées, voire écartées, les menchéviks sauront se reprendre dès l'avènement du bolchévisme et inscrire à leur actif une page héroïque. Devant le coup de force d'Octobre, les menchéviks, dont les leaders sont désormais Martov et Dan, vont s'évertuer à empêcher les bolchéviks de « faire cavalier seul » et d'établir une dictature minoritaire. Pendant les négociations imposées aux bolchéviks par le Comité directeur du syndicat des cheminots ou Vikjel (fin octobre-début novembre 1917), les menchéviks proposeront de confier les responsabilités à une coalition de tous les partis socialistes, depuis les socialistes populaires jusqu'aux bolchéviks ; Martov et Raphaël Abramovitch joueront un rôle prépondérant dans des pourparlers qui réunissent menchéviks, socialistes-révolutionnaires et bolchéviks modérés. Fait remarquable, les menchéviks ne soumettent le rapprochement qu'à un seul préalable : « l'abolition de la terreur politique » - condition que les bolchéviks rejettent sur-le-champ 42 • Les négociations échouent donc du fait de l'intransigeance de Lénine et de Trotski - lesquels, au cours d'une séance à laquelle Lénine attribuera une « importance historique » 43 , réprimanderont les bolchéviks modérés et rompront les négociations. Avec la dissolution par la force de l'Assemblée constituante, le 18 janvier 1918, les menchéviks voient sombrer leur dernier espoir de s'entremettre entre les bolchéviks détenteurs du pouvoir d'Etat, et les socialistesrévolutionnaires, sortis grands vainqueurs des élections à la Constituante. Le heurt entre les deux forces ne tardera pas à dégénérer en guerre civile. Au cours de la première phase de celle-ci, c'est-à-dire jusqu'aux derniers mois de 1918, 42. No11aia Jirn, n° 172, 4 (17) novembre 1917. 43. Protolcoli Tsentra/110"0 J{omitcta RSDHP (h), augoust 1917-{eural 1918, l\toseou 1958, p. 1:H. e st·rnlt-c, pas le plus bel understatement ck toute l'nnn~c 1917?

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