132 ministres cadets. S'il est certain que cette expérience n'a jamais eu le moindre sens doctrinal du moins peut-on la justifier, dans une ' . certaine mesure, par des arguments pratiques. Mais pourquoi les menchéviks renouvelleron!- ils l'expérience en juillet, puis une autre fois en septembre, après le putsch de Kornilov - en dépit d'une opposition .croissante dans leurs propres rangs ? C'est d'autant plus difficile à comprendre que Martov et ses menchéviksinternationalistes vont changer radicalement d'attitude dès le sabordage du premier gouvernement de coalition. Jusque-là, ils ne veulent ni d'une coalition ni de la prise du pouvoir. Mais dès le 3 juillet au matin ils proposent de constituer un gouvernement de la « démocratie » : « L'histoire nous impose, s'écrie Martov, d A 1 ' ft8 de pren re nous-memes e pouvoir . » . Il est clair que la crise de juillet constitue une excellente occasion de s'emparer du pouvoir tout en coupant l'herbe sous le pied des bolchéviks, qui ne .cessent de mettre en cause l' « inactivité organisée » du gouvernement de coalition. Les ministres cadets viennent de donner à chacun une belle leçon de patriotisme en se retirant du gouvernement au moment précis où s'enlise l'offensive militaire dont ils sont partisans depuis longtemps, et à la préparation de laquelle ce même gouvernement a consacré tant d'efforts. C'est à une énorme majorité que, dès le 3 juillet, la section ouvrière du soviet de Pétrograd se prononce pour la prise du pouvoir par les soviets ; au même moment une délégation d'ouvriers menchéviques demande instamment à Tséretelli et aux autres dirigeants du soviet de former un gouvernement. Viennent ensuite les manifestations armées d'ouvriers, de soldats et de marins (de Cronstadt), organisées par les bolchéviks pour sommer le Comité exécutif des soviets d'assumer le pouvoir. On racontera plus tard que Tchernov se fait interpeller par un travailleur en ces termes : « Prends donc le pouvoir, fumier, quand on te le donne ! 39 » Or déjà le pouvoir de fait appartient à ce moment au seul Comité exécutif des soviets : c'est lui qui mettra fin à l'émeute, rétablira l'ordre, fera venir des troupes à Pétrograd - et recevra de la plupart des unités de la garnison des protestations de loyalisme avant même que n'arrive dans la capitale le détachement spécial demandé à la ve armée. Et pourtant, les chefs du Soviet - Tséretelli notamment, mais aussi Dan - refusent de transformer leur pouvoir 38. A. Chliapnikov: Semnadtsatyi god, vol. IV,Moscou 1931, pp. 288-89. - z· , •• 39. P. N. Milioukov: lstoriia vtoroi rousskoz revo zou su, vol. I, première partie, Sofia 1921, p. 224, · BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL de fait en pouvoir légal, ce q~i :7a permettre.,à Kérenski de constituer, le 24 Juillet, le deuxieme gouvernement de coalition. Lorsque éclate la crise gouvernementale de septembre, l'opposition dans le « camp de 1~ démocratie» à une coalition avec la bourgeoisie est plus forte que jamais. Lors de la « Conférence démocratique » qui est convoquée pour résoudre la crise, et les délégués menchéviques et ceux des soviets se prononcent contre tout gouvernement de coalition : les deux groupes choisissent Martov pour porte-parole. Un deuxième scrutin confirme que la Conférence s'oppose à une coalition avec les cadets. Mais la Conférence procède à un troisième scrutin qui a pour effet d'annuler les votes antérieurs, ce dont Tséretelli profite pour donner à Kérenski la possibilité de former le troisième gouvernement de coalitio-!:. C'est ainsi qu'?n laissera échapper la derniere chance de faue échec au bolchévisme. Pourquoi les menchéviks s'obstinent-ils à préférer une formule que condamne leur propre doctrine ? Faut-il vraiment imputer cette préférence à la politique de guerre des menchéviks, qui présuppose l'union sacrée_? Ou encore à leur crainte chaque jour plus vive du bolchévisme à la conviction de Tséretelli qu'une épre~ve de force avec l' « appareil militaire » des bolchéviks est inévitable 40 ? :Mais il est également permis de se demander si les dirigeants menchéviques, qui sont des citadins, des intellectuels, et pour la plupart d'origine juive ou géorgienne, ne manquent pas tout simplement de la confiance nécessaire pour affronter et gouverner une Russie toujours en grande partie pré-industrielle et paysanne, où l'antisémitisme est profondément enraciné, de même que la méfiance envers tous les allogènes. Les indices dans ce sens ne manquent pas, dont certains fort significatifs : c'est ainsi que Dan, précisément parce qu'il est juif, refuse tout portefeuille dans le premier gouvernement de coalition et y délègue à sa place M. I. Skobelev 41 • * * * QUELLES QUE SOIENT les raisons du « coalitionnisme » opiniâtre des menchéviks, il n'y a guère de doute qu'il a facilité la prise du pouvoir par, les bolchéviks, sous le couvert du mot d'ordre : « Tout le pouvoir aux soviets. » Il semble certain en effet qu'en 1917 la véritable alternative n'était pas entre Lénine ou 40. Tséretelli, op. cit., vol. Il, pp. 247-49. 41. Entretien de l'auteur avec Lydia Dan, New York, 1962,
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