130 s'est effondré confirment en effet les principes essentiels du menchévisme : la prise du pouvoir résulte d'une révolution populaire spontanée dans laquelle la classe ouvrière a joué un rôle d'avant-garde, plutôt que d'un soulèvement armé déclenché à l'heure H par une organisation restreinte de révolutionnaires professionnels. Quant à l'opposition entre bourgeoisie libérale et tsarisme sur laquelle la stratégie menchévique a toujours tablé, elle s'est bel et bien manifestée, comme prévu, dans l'attitude du Bloc progressiste, qui a fini par couper le régime tsariste de la société. De plus,. la tactique des menchéviks, consistant à profiter de toute occasion favorable pour se retrancher dans la légalité - en utilisant notamment les sections ouvrières de la Commission des industries de guerre, le groupe socialdémocrate à la Douma, les coopératives, etc. - a permis de maintenir la continuité socialdémocrate pendant les années de guerre. Si bien que lorsque le tsarisme s'écroule, c'est sur l'initiative des dirigeants de ces organisations qu'est constitué le soviet de Pétrograd, organe par excellence de cette « autonomie révolutionnaire» conçue et voulue par les menchéviks. ,- Fondateurs du soviet de la capitale, les menchéviks vont bénéficier d'une forte avance sur leurs rivaux bolchéviques - lesquels, pris au dépourvu et coupés de leur chef à l'étranger, font preuve pendant les premières journées de Février d'un singulier manque d'initiative. De même, dans l'alliance avec les socialistes-révolutionnaires, ce sont les menchéviks qui dominent, bien que moins populaires et moins nombreux que leurs partenaires, et cela grâce à leur degré de préparation et d'expérience, tant sur le plan de la réflexion politique qu'en matière d'organisation. Jusqu'en Octobre, la coalition menchévique-s.-r. l'emportera dans les soviets. Mais dans le camp de la « démocratie », c'est-à-dire des partis favorables aux soviets, ce sont bien les menchéviks qui constituent pendant les premiers temps l'élément le plus influent, comme l'indique leur rôle dominant au Comité exécutif des soviets : celui-ci a pour président en titre Chkheidzé, l'ancien chef du groupe menchévique à la quatrième Douma, et pour leader incontesté, pendant les quelque six mois qu'il passe à Pétrograd (entre son arrivée de Sibérie en mars et son départ pour la Géorgie début octobre), le menchévik Tseretelli, héros et martyr de la deuxième Douma. Et pourtant on peut ,constater dès le mois de juin que le prestige des menchéviks est en baisse, en particulier parmi les ouvriers de BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Pétrograd. C'est par 297 voix contre 21, avec 44 abstentions, que la Conférence des comités d'usine de Pétrograd, qui se réunit au début de juin, adopte une résolution bolchévique ; le conseil central qu'elle désigne est en majorité bolchévique 25 • A la veille de la révolution d'Octobre, sur 167 délégués participant à la Conférence panrusse des comités d'usine, 8 seulement sont des menchéviks 26 • Aux élections d'août à la Douma de Pétrograd, les menchéviks essuient une défaite écrasante, en ne recueillant que 23.552 voix sur 549.379; à Moscou, ils passent de 76.407 suffrages en juin à 15.887 en septembre 27 • Alôrs qu'au rer Congrès des soviets, en juin, 248 délégués se déclarent menchéviks, contre 105 bolchéviks, au 2e Congrès, en octobre, les menchéviks ne sont plus que 70 à 80, face à 300 bolchéviks 28 • Pis encore, lors des élections à l'Assemblée constituante en novembre 1917, les menchéviks n'obtiennent que 1.364.826 voix contre 16 millions de voix pour les socialistes-révolutionnaires et 9,8 millions pour les bolchéviks 29 • Encore ce résultat reflète-t-il surtout la popularité du menchévisme en Géorgie (569 .362 voix) et parmi les bundistes juifs dans les régions occidentales ; en Russie proprement dite, le nombre de suffrages menchéviques doit à peine dépasser 500.000 30 • Erreurs et énigmes L'ÉCHECdes menchéviks pendant la période février-octobre 1917 - à la différence de la défaite des socialistes-révolutionnaires, qui succombent à la violence du pouvoir d'Etat bolchévique - constitue ainsi un phénomène bien distinct du coup de force d'Octobre. Lorsque celui-ci se produit, les menchéviks ont déjà laissé passer l'occasion de jouer le rôle principal dans la vie politique du pays. L'effondrement des menchéviks en 1917 peut-il s'expliquer autrement que par leur refus persistant d'assumer· le pouvoir? Certes, leur attitude face à la guerre, et en particulier le soutien de l'offensive désastreuse de Kérenski en juin 1917, a pu détacher d'eux un certain nombre de gens ; mais cela même n'est nullement certain, puisque pour manifester son hostilité à 25. Oskar Anweiler : Die Rtitebewegung in Russland 1905-1921, Leyde 1958, p. 156. 26. Ibid. , 27. O. H. Radkey : The Election to the Russian Con$tîtuent Assembly of 1917, Cambridge, Mass., 1950, p. 53; et Véra Vladimirova : Revolioutsiia 1917 goda. Khronika sobytii, vol. IV, Moscou 1924, p. 76. 28. Ibid., pp. 153, 323-24. 29. Radkey, op. cit., annexe : « Election Results by Districts •· 30. Julius Martov : Geschichte der russischen Sozialdemokratie, mit einem Nachtrag von Th. Dan : Die Sozialdemokratie Ru~slands nach dem Jahre 1908, Berlin 1926, p. 308.
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