Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

I. GETZLER formation russes. Il semble bien, en tout cas, que le bolchévisme, monolithique et amoral, exerce sur ceux-ci un moindre attrait 23 • Pendant la période 1906-1912, une division fondamentale se manifeste chez les menchéviks entre une droite qui se trouve en grande partie en Russie et une gauche qui rassemble les dirigeants émigrés. En Russie, les intellectuels menchéviques, groupés autour de la revue Nacha Zaria paraissant à Saint-Pétersbourg se rapprochent, sous la conduite d'A. N. Potressov et de Vladimir Levitski (le frère cadet de Martov) des dirigeants des praktiki, notamment P. A. Garvi, K. M. Iermolaev et I.A. Isouv. Les uns et les autres sont d'accord pour sortir l'activité du Parti de la clandestinité et la réorienter ver~ les voies légales et les institutions d'obédience menchévique. A leurs yeux l'organisation .clandestine a fait son temps et elle est profondément démoralisée ; quant aux bolchéviks, on ne saurait envisager avec eux le moindre compromis. De leur côté, Martov, Dan et Martynov - qui publient à Paris Golos sotsialdemokrata - insistent, tout en approuvant le principe de la réorientation de l'effort principal vers les activités légales et semi-légales, sur la nécessité de soumettre celles-ci au contrôle d'un parti-cadre clandestin qui veillerait à ce que ces activités ne perdent pas leur caractère et leurs visées socialdémocrates. C'est à cette fin que la direction menchévique à l'étranger continue de patronner les « Groupes d'initiative » clandestins, lesquels conjuguent activités légales et illégales. Les émigrés tiennent aussi à maintenir l'unité avec les bolchéviks, ce qui suffit à leur aliéner les champions du « travail pratique » au niveau de la masse ouvrière. A la périphérie du camp menchévique, parfois à l'intérieur mais plus souvent à l'extérieur, il y a encore le groupe dit des « menchéviks de Parti » animé par Plékhanov, et celui de la Pravda de Trotski. Le premier est d'accord avec les bolchéviks pour considérer les praktiki comme des « liquidateurs » qui ne demandent qu'à enterrer le Parti ; quant au groupe de la Pravda, s'il est favorable à la tactique révolutionnaire des bolchéviks, il soutient au contraire les menchéviks en matière d'organisation intérieure ; aussi s'attribue-t-il volontiers un rôle médiateur entre les deux grandes tendances. 23. Dès le début, le menchévisme semble avoir exerc~ sur les Juifs russes assimilés un plus grand attrait que le bolchévisme. Parmi les 25 Juifs présents au II• Congrès du P.O.S.D.H., en 1903, 6 étalent bundistcs, 4 bolchéviks (sur 20) et 15 menchévlks (sur 17). (Fondé en 1897, le Bund était un parti socialiste Juif. Sur la plupart des questions, il faisait cause commune avec les mcnch~vlks.) BibliotecaGino Bianco 129 Entre les dirigeants émigrés et le groupe des « militants pratiques », le fossé s'élargit singulièrement en janvier 1910, au moment de l'Assemblée plénière du Comité central du Parti. Les praktiki estiment en effet que leurs intérêts vitaux y ont été sacrifiés au nom du maintien d'une unité illusoire avec les bolchéviks. Toutefois, en août 1912, les praktiki - qui ont dû soutenir le plus fort de l'assaut des bolchéviks contre les positions menchéviques en Russie - se rapprochent quelque peu des émigrés 2 \ tout en restant étroitement liés au groupe de droite Nacha Zaria. La guerre de 1914 modifie bien entendu ce tableau, en provoquant de nouveaux éloignements - et rapprochements. L'élément nouveau le plus surprenant est le ralliement patriotique de Plékhanov et de ses amis du groupe I édinstvo à l'union sacrée et à la défense nationale. Mais pour l'essentiel la ligne de partage entre la gauche et la droite reste la même, sauf qu'il s'agit à présent d' « internationalisme » et de « défensisme ». On retrouve à gauche, toujours sous la conduite des émigrés Martov, Martynov et Axelrod, les menchéviks-internationalistes, qui participent activement au mouvement socialiste pacifiste de Zimmerwald. Ils sont appuyés en Russie par le groupe dit des « Zimmerwaldiens sibériens » (Irakli G. Tséretelli et Dan), par les « Groupes d'initiative » et par le groupe menchévique à la Douma, qui a pour chef N. S. Chkeidzé. A droite, il y a le groupe Nacha Zaria, dit des « auto-défensistes », lequel soutient énergiquement les sections ouvrières de la Commission des industries de guerre, dirigées par les menchéviks Kouzma Gvozdev et B. O. Bogdanov. Cependant, à la différence de leurs camarades à l'étranger, les menchéviks-internationalistes de Russie estiment devoir soutenir - sous condition - les sections Gvozdev-Bogdanov. C'est qu'ils y voient un moyen légal d'atteindre, de rallier et d'organiser les travailleurs de l'industrie, à une époque où la répression policière a réussi soit à éliminer complètement les organisations socialdémocrates, tant bolchéviques que menchéviques, soit à les acculer à de vaines activités clandestines. La révolution de Février LORSQUEÉCLATEen 1917 la révolution de Février, les menchéviks ont tout lieu d'exulter. Les conditions dans lesquelles le régime tsariste 24. P. Gnrvi : • Vospomlnnniin, Petcrsburg-OdessnVienna 1912 g. •· lntcr-Unlv{"rsily Projt'ct on the Hfstory of the Menchevik Movrmcnt, Nrw York, s.d., p. 37.

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