Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

128 moins fondée pendant le~ années 1911-1914, période de prospérité industrielle marquée par l'accentuation des conflits sociaux, par la décomposition du système de Stolypine, et par la « radicalisation » de partis bourgeois comme les cadets et même les octobristes. Il va sans dire aussi que cette poli tique est plus sérieuse que celle des bolchéviks, qui préfèrent miser sur les aspirations élémentaires et utopistes d'ouvriers à peine sortis de Jeurs villages d'origine et aigris par des conditions de vie et de travail également pénibles. Mais si elle est bonne dans son principe, en pratique la tactique menchévique ne peut réussir qu'à condition d'être appuyée par une organisation politique capable de coordonner les activités des groupements à l'étranger avec celles des praktiki et des militants travàillant dans la clandestinité en Russie. Autrement dit, il leur faut un parti authentiquement socialdémocrate où les bolchéviks - hostiles aussi bien à la tactique employée qu'à l'objectif d'ensemble - devront ou se soumettre ou se démettre. Mais jamais, sauf pendant la brève année 1906-1907 qui sépare les congrès de Stockholm et de Londres, les menchéviks n'ont disposé du Parti - ni fait ce qu'il fallait pour en devenir maîtres. En 1909-1910, ils laisseront même échapper la dernière - et excellente - occasion qui se présente en ce sens. A ce moment, la petite faction bolchévique en Russie (le « Centre bolchévique ») et à l'étranger (le comité de rédaction de Proletarii) est profondément divisée en. « otzovistes », « conciliateurs » 20 et léninistes proprement dits ; de plus les léninistes sont gravement compromis par les scandales des « expropriations » et quantité d'autres affaires douteuses 21 • Mais à l'assemblée plénière (dite d'unification) qui réunit à Paris, en janvier-février 1910, les membres du Comité central, les menchéviks, 20. En 1908, l'extrême gauche des bolchéviks, dont un grand nombre avaient demandé le boycottage total de la Douma en 1907, se scinda en deux groupes : les • otzovistes • et les « ultimatistes o. Les otzovistes ( = rappeleurs) exigeaient le rappel immédiat des délégués à la Douma; les ultimatistes voulaient leur imposer une soumission absolue au Comité central. Quant aux • conciliateurs •, c'étaient les bolchéviks qui, lors de l'assemblée plénière du Comité central à Paris en janvier 1910, insistèrent, malgré l'opposition de Lénine, sur la réunification avec les menchéviks. 21. Après 1906, les bolchéviks et maximalistes (socialistes-révolutionnaires de gauche) eurent recours, en vue de financer les activités révolutionnaires, à des actes de brigandage qu'ils appelaient par euphémisme des « expropriations ». OP-st ainsi qu'en juin 1907, ils volèrent plus d'un quart de million de roubles à la Banque d'État de Tiflis (Géorgie). Les renseignements fournis par un indicateur de la police russe qui jouissait de la confiance de Lénine amena l'arrestation de plusieurs conspirateurs au moment où ils essayaient de changer les billets de banque russes en Europe occidentale. Ces arrestations, ainsi que la réaction indignée du journal social-démocrate allemand Vorwârts en apprenant que l'on avait utilisé ses services administratifs pour transporter les fonds, déclenchèrent un immense scandale dans les milieux socialistes. · BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL loin de pousser leur avantage, se contentent d'une solution de compromis (qui consacre leur victoire morale) et de quelques promesses des bolchéviks. Quant aux postes de responsabilité dans les organes du Parti, les menchéviks n'obtiennent rigoureusement rien 22 • Le dénouement se produit en 1912. Une fois de plus, une audacieuse manœuvre de Lénine place les menchéviks et le reste du Parti devant le fait accompli il réunit à Prague, en l'absence de toute représentation menchévique, une nouvelle « Conférence panrusse du Parti », laquelle se proclame habilitée à représenter le Parti tout entier et élit aussitôt un nouveau Comité central - purement léniniste. Quelle sera la riposte des non-bolchéviks ? Ils se contentent de se réunir à Vienne (en août 1912, d'où le nom de « Bloc d'août » qui leur sera donné) et de prendre acte des derniers progrès réalisés par les bolchéviks ... progrès qui pourraient à la longue confirmer ceux-ci dans leur prétention à constituer à eux seuls le. Parti ! Les menchéviks ne trouveront enfin rien de mieux, pour panser leurs ble~sures, que d'adresser un appel pathétique à l'Internationale socialiste, l'invitant à sanctionner les bolchéviks et à exiger que ceux-ci rétablissent l'unité rompue. Un tel appel en faveur de l'unité avec des hommes que n'intéresse pas la socialdémocratie donne peut-être la mesure de l'incapacité des menchéviks à doter leur pays d'un parti social-démocrate vrai et vivant. Divergences internes CONTRAIREMENATUXBOLCHÉVIKSq)ui pour mettre fin à un désaccord se débarrassent volontiers des non-conformistes, les menchéviks - à l'instar des social-démocrates allemands - admettent la présence dans leurs rangs de factions di.ssidentes et pratiquent la direction collective. Cette tolérance de la dissidence ainsi que la fidélité au principe de la direction collective donne à l'aile menchévique du Parti un caractère plus démocratique et plus intellectuel, mais la condamne en même temps à un type d'organisation plus amorphe. C'est peut-être justement l'atmosphère relativement libérale et fortement intellectuelle qui règne chez les menchéviks, ainsi que la droiture morale des animateurs du mouvement, qui attire dans leur camp tant d'intellectuels et de militants d'origine juive et géorgienne, mais de culture· et de 22. Leonard Schapiro : The Communist Party of the Soviet Union, Londres 1960, pp. 117-20; également Getzler: Martov ... , pp. 127-32.

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