I. GETZLER activités sous la forme d'un petit « maquis » militarisé, traqué par la police, qui subsiste au moyen de méthodes criminelles ou équivoques et entretient l'illusion que le soulèvement armé est toujours à l'ordre du jour, les « militants pratiques » (praktiki) des menchéviks s'emploient au contraire à prendre pied parmi les ouvriers industriels en participant à toutes sortes d'initiatives et d'efforts qui se développent au grand jour : syndicats ouvriers, associations et clubs éducatifs, mutuelles d'assurance-maladie et autres, crèches, sans parler du comité réunissant les députés social-démocrates à la Douma, des congrès médicaux et scientifiques, etc. La meilleure preuve de la supériorité de la tactique des menchéviks est la victoire très nette qu'ils remportent au IVe Congrès du Parti qui se tient à Stockholm en avril 1906. A ce congrès, dit d'unification, les deux ailes du Parti se rejoignent, mais les délégués menchéviques sont en majorité et le nouveau Comité central comprendra sept menchéviks et trois bolchéviks. Les résolutions bolchéviques tendant à la « préparation d'un soulèvement armé », l'emploi de tactiques de guérilla et le boycottage de la Douma sont rejetées à de très fortes majorités, tandis que sont adoptées celles des menchéviks en faveur de la participation aux élections à la Douma, de la constitution d'un groupe social-démocrate à cette même Douma, enfin d'un programme de « municipalisation » des terres. Contrairement au programme agraire des bolchéviks qui prévoit la nationalisation de toutes les terres (y compris celles des paysans), les menchéviks proposent de remettre l'ensemble des terres domaniales et privées (sauf celles des paysans) à des organes démocratiques locaux ou aux municipalités, lesquels les affermeraient aux paysans à titre individuel ; toutefois les grandes propriétés déjà exploitées selon les principes capitalistes modernes seraient placées sous un régime de gestion collective. Mais pour toute une série de raisons le succès de la tactique des praktiki sera de courte durée. Et d'abord, dès les prochaines assises du Parti réunifié (Londres, 1907), les bolchéviks se retrouveront en majorité, ce qui rétablira leur autorité démoralisante, encore que précaire, sur les divers organes du Parti. Mais les autres facteurs ne sont pas moins importants : la désaffection croissante des milieux intellectuels à l'égard du mouvement révolutionnaire ; la crise économique, qui frappe et intimide la classe ouvrière ; et surtout la politique de répression sauvage pratiquée par le BibliotecaGino Bianco 127 gouvernement de Stolypine. Si, pendant cette sombre période (1907-1910), la social-démocratie maintient quelque activité, c'est surtout grâce aux efforts des « militants pratiques » menchéviques qui, s'abstenant à dessein de toute participation aux organisations clandestines sous contrôle bolchévique, se retranchent dans les diverses institutions légales et semilégales patronnées par les menchéviks. Toutefois, en tournant le dos aux sections du Parti considérées comme autant de «foyers de provocation infestés d'indicateurs » et abandonnées aux bolchéviks, en se dispersant dans diverses activités marginales, les menchéviks risquent de faire le jeu de leurs adversaires. Et effectivement, pendant les années de conflit social qui suivent l'assassinat de Stolypine, les bolchéviks sauront se rendre maîtres des organisations social-démocrates clandestines et en faire des points d'appui pour leur pénétration dans les sphères légales d'activité, telles que la presse, les syndicats et la Douma. Les bolchéviks s'efforceront ainsi, par tous les moyens, de déborder et de déloger leurs concurrents. Il est vrai que Martov et plusieurs de ses compagnons - notamment son frère Serge (Iéjov), Youri Larine et Eva Broïdo - tenteront de reconstituer un réseau clandestin menchévique, en créant à cet effet des « Groupes d'initiative » chargés d'intégrer dans le Parti les éléments très divers et isolés dont se compose la superstructure légale édifiée par les praktiki 19 • Mais les initiateurs de ce mouvement ne sont pas de taille à tenir tête aux organisateurs bolchéviques déjà bien formés, et habiles à coordonner l'agitation légale et illégale. Alors que les menchéviks s'efforcent d'éduquer une classe ouvrière encore fruste et de la mobiliser en vue d'objectifs limités mais à sa portée, les bolchéviks agissent en démagogues, attisent les haines de classe, entretiennent les illusions miliénaristes, entraînent les travailleurs dans des grèves inutiles et des manifestations sanglantes - tout cela pour précipiter coûte que coûte l'épreuve de force et créer une situation révolutionnaire. Le déclin du menchévisme DANS SONPRINCIPE, la tactique des menchéviks, consistant à multiplier les activités tant légales qu'illégales afin de consolider leurs positions dans la classe ouvrière, se justifie pendant la période Stolypine, puisqu'elle permet au mouvement de survivre. Elle apparaît non 1O. Grtzler : 1\1 artov..., p. 13·1.
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