Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

126 gine immédiate comme sa force communicative des « révolutions municipales» du début de 190 5 en Géorgie et en Lettonie - marquées par l'élimination de la police et des fonctionnaires tsaristes dans nombre de régions et leur remplacement par des autorités révolutionnaires locales - et, plus directement encore, de la révolte des marins du cuirassé Potemkine, qui en juin 1905, à bord de leur navire, se sont constitués en « république militaire » 12 • Appuyés sur ces exemples, le mot d'ordre d' « autonomie révolutionnaire » et les formes d'organisation liées à ce concept dominent la pensée et l'action politiques des menchéviks pendant toute la seconde moitié de l'année 1905. C'est cette idée qui inspire la campagne des menchéviks en faveur de la création d'organisations ouvrières dites « non affiliées », destinées à grouper les travailleurs en fonction de leurs seuls besoin's. communs, socio-économiques et politiques, et indépendamment de toute distinction d'emploi ou de profession 13 • Il en va de même du projet de « congrès ouvrier » 14 ·conçu par Axelrod. L'une et l'autre de ces formules reflètent une préoccupation essentielle des menchéviks : celle de l'organisation, de la formation et de l'animation de la masse amorphe des ouvriers restés hors du Parti. Mais ce n'est là qu'un aspect d'une stratégie d'ensemble, tendant à la création de tout un « réseau d'organes révolutionnaires autonomes » dans les villes et les campagnes, réseau appelé à s'étendre « progressivement à tout le pays, avec la perspective d'un assaut final contre le centre de gouvernement 15 ». Par ce moyen, les menchéviks espèrent déclencher contre le tsarisme une « révolution populaire par en bas». Pour eux, le processus révolutionnaire prend la forme d'un conflit toujours plus intense entre les organes autonomes révolutionnaires, engagés dans une offensive de plus en plus vigoureuse, et un gouvernement central acculé à la défensive. * * * IL NE FAIT. aucun doute que ce sont ces idées menchéviques qui constituent la base théorique du mouvement des soviets et lui donnent son élan initial. Les soviets de députés ouvriers apparaissent à Saint-Pétersbourg et dans un certain nombre de villes de province pendant la dernière moitié de 1905. A l'origine, 12. Martov : « Tchernomorskoié vosstanié •• Iskra, n ° 104, 1er juillet 1905. 13. Pervaia obchtcherousskaia konferentsiia ... , p. 21. 14. J. L. H. Keep : The Rise of Social Democracy in Russia, Oxford 1963, pp. 214-15. 15. Martov : • Na otcheredi. .. , loc. cit. supra. · BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL dans la conception menchévique, les organisations ouvrières « non affiliées » ainsi que les « comités ouvriers d'agitation» devaient servir de « point de départ au ralliement politique de la classe ouvrière » et de base de recrutement et d'appui pour la formation accélérée d'un << parti ouvrier indépendant sous la bannière de la social-démocratie ». Par la suite ils constitueraient, · toujours sous l'égide social-démocrate, des « organisations révolutionnaires permanentes du prolétariat ayant pour objet l'intervention constante, dans l'intérêt de la classe ouvrière, dans les affaires publiques et celles de l'Etat 16 ». C'est encore aux menchéviks que revient l'idée de faire élire par les organisations ouvrières une « Douma nationale» illégale représentant le « pays réel » et appelée à affronter et éventuellement à supplanter la Douma d'Etat du « pays légal » 17 • On comprend pourquoi Martov, en arrivant à Saint-Pétersbourg à la fin d'octobre 1.905, reconnaît aussitôt dans les soviets de députés ouvriers « la réalisation de nos idées de gouvernement révolutionnaire autonome 18 ». Qui plus est, il est permis de discerner dans l'idée menchévique d'organes révolutionnaires- intervenant dans les affaires de l'Etat, comme dans celle d'une Douma représentative des masses défiant la Douma d'Etat, un modèle de dualité de pouvoir qui est non seulement compatible avec la conception que se font les menchéviks de leur rôle futur d'opposition militante et irréductible au gouvernement post-tsariste, mais singulièrement proche de la dualité effective de pouvoir qui marquera, douze ans plus tard, la brève existence du Gouvernement provisoire. Les menchéviks après 1905 L'ÉCHEC de la révolution de 1905 met fin pour un temps au débat sur la prise du pouvoir et ·inaugure une période de déclin révolutionnaire au .cours de laquelle les menchéviks se révèlent mieux armés que les bolchéviks et les socialistes-révolutionnaires pour exploiter les nouvelles possibilités d'activité politique « à découvert » qu'offrent le régime semi-constitutionnel institué au lendemain des événements, et même celui - certes moins accommodant - de Stolypine, qui lui succède en juin 1907. Alors que les bolchéviks poursuivent leurs 16. Pervaia obchtcherousskaia konferentsiia ... , p. 21. 17. Voir l'ouvrage de l'auteur : Martov. A Political Biography of a Russian Social Democrat, Londres, Cambridge University Press, 1967, pp. 107-09. 18. Lettre de Martov à P. B. Axelrod, fin octobre 1905, dans Pisma P. B. Axelroda i Jou. O. Martova, 19011916, Berlin 1924, p. 146.

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