Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

124 en août 1904, ces « conciliateurs » iront jusqu'à manifester leur désapprobation de la tactique scissionniste et de la plume fielleuse du « vieux » en décidant de s'adjoindre, par cooptation, les menchéviks Rozanov, Krokhmal et Rosa Galberchtadt. Mais dès qu'il s'agira de tirer effectivement parti de leur avantage temporaire, les menchéviks feront preuve d'une singulière négligence - ou indifférence. Ainsi, lorsqu'en avril 1905 Lénine cherche à rétablir son autorité sur le Parti en convoquant à Londres un congrès dominé par les bolchéviks - lequel se constitue arbitrairement en IIP Congrès du parti social-démocrate et élit un nouveau Comité central, - les menchéviks se contentent, en guise de réponse à cette provocation, de tenir à Genève, en avril-n1ai de la même année, une « Conférence panrusse des militants du Parti », laquelle désigne un simple Comité d'organisation. Cette riposte a pour seul résultat de maintenir la fiction de l'unité du Parti après que Lénine l'eut rompue de propos délibéré. Bref, les menchéviks laisseront échapper l'occasion d'endiguer le courant léniniste et de prendre la direction du Parti en ne faisant absolument rien pour concrétiser leur incontestable victoire morale pendant la crise de 1903-1904. La révolution de 1905 LES ÉVÉNEMENTdSe 1905 vont détourner l'attention des deux factions social-démocrates des questions d'organisation, d'ordre plutôt théorique. Ce sont maintenant des problèmes immédiats qui se posent. Quelle attitude le Parti doit-il adopter à l'égard des revendications présentées par les libéraux de certains zemstvos (assemblées de district) et tendant à de vastes réformes ? Quelle est sa position envers la Commission Chidlovski chargée par le tsar, au lendemain du Dimanche rouge, d'établir les causes de l'agitation ouvrière ? Que penser du projet présenté en août 1905 par le ministre de l'Intérieur, A. I. Boulyguine, en vue de la création d'une Douma purement consultative? Mais surtout la révolution donne un caractère d'actualité, voire d'urgence, à la , question de la prise du pouvoir (posée par Lénine), comme à celle de la composition du gouvernement post-révolutionnaire (posée par Parvus et Trotski). Si le tsarisme culbute, qui formera le gouvernement provisoire? Et quel devra être, en termes marxistes, le rôle d'un parti ouvrier social-démocrate après sa participation à une révolution bourgeoise dans un pays retardataire où le socialisme n'est pas BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL encore réalisable ? Autrement dit, sa place sera-t-elle alors au gouvernement ou dans l'opposition ? Les menchéviks se montrent en l'occurrence parfaitement insensibles à la perspective séduisante du pouvoir. Alors que Parvus et Trotski abandonnent complètement la théorie de la révolution bourgeoise et que Lénine renonce à son corollaire - la non-participation au gouvernen1ent - pour préconiser au contraire l'entrée des socialistes dans un gouvernement post-révolutionnaire, les menchéviks s'en tien-· nent à un principe à leurs yeux « incontestable » : jusqu'à l'avènement d'une révolution socialiste ( dont il ne saurait encore être question dans un pays retardataire comme1a Russie), la social-démocratie est et doit rester un parti d'opposition extrêmeJ à l'encontre de tous les autres partis qui pourraient envisager, sous une forme ou sous une autre, dans telle ou telle mesure, la participation au pouvoir d'Etat de la société bourgeoise 2 • Il est vrai que les menchéviks n'excluent pas entièrement une éventualité : celle d'une carence de la bourgeoisie .devant son « devoir historique». Les sociaux-démocrates pourront dans ce cas se voir obligés, bon gré mal gré, à assumer le pouvoir pour sauver la révolution. Mais dans ce cas, ils. n'auront d'autre choix que de précipiter le cours des événements en essayant d'instaurer le socialisme, tentative qui, dans un pays retardataire, aura inévitablement le sort de la Commune de Paris, à moins que la révolution ne se propage aux pays occidentaux 3 • Le principe du renoncement au pouvoir est officiellement adopté dès avril-mai 1905 par la « Conférence des militants du Parti », à Genève, alors que se poursuit en Russie le processus révolutionnaire. Réaffirmant le caractère « bourgeois » de celui-ci, l'assemblée recommande au Parti de ne pas s'emparer du pouvoir ni d'y _participer dans un gouvernement révolutionnaire provisoire, mais. d'assumer le rôle d'une « opposition révolutionnaire extrême ». Elle n'admet la prise du pouvoir qu'à une seule fin, celle de l'édification du socialisme, · et dans le seul cas où la révolution « gagnerait les pays évolués de l'Europe 4 ». 2. A. Martynov: Dvié diktatouri, Genève 1905, pp. 55, 57. Pour un compte rendu plus détaillé de ce débat, voir la contribution de l'auteur à l'ouvrage collectif In Memoriam B. I. Nicolaevsky; ainsi que Solomon M. Schwarz: The Russian Revolution of 1905, Chicago et Londres, 1967, pp. 8-28, 246-54. 3, L. Martov : • Na otcheredi. Rabotchaia partiia i zakhvat vlasti kak nacha blijaïchaia zadatcha ,, Iskra n ° 93, 17 mars 1905. (Julius Martov signait parfois L. Marto~ ou L.M. « L • était l'initiale de sa sœur préférée, Lydia.) 4. Pervaia obchtcherousskaia konferentsiia partinikh rabotnikov, supplément de l' Iskra, n° 100, 15 mai 1905, pp. 23-24.

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