LES MENCHÉVIKS par Israël Getzler L E MENCHÉVISME - littéralement : doctrine, mouvement de la minorité, menchinstvo - date de la crise que traverse en 1903-1904 le parti ouvrier socialdémocrate russe à la suite de son IIe Congrès. Lénine voit alors se dresser contre lui une large majorité des fondateurs et des dirigeants du Parti, qui n'admettent pas plus ses conceptions ultra-centralistes que la brutalité des procédés employés, depuis le congrès, pour imposer son pouvoir personnel. Sont décidés désormais à rompre avec Lénine ceux qu'à ce congrès on appelait les « mous », à savoir les groupes de l'Iskra et du Ioujnii Rabotchii ( « le Travailleur du Sud ») : d'une part, Julius Martov, A. N. Potressov, P. B. Axelrod, E. M. Alexandrova, V. N. Krokhmal, Véra Zassoulitch, Léon Deitch, Boris Koltsov, Léon Trotski et Rosa Galberchtadt ; de l'autre, E. la. Lévine, V. N. Rozanov et E. S. Lévina. Ces prétendus « mous » ne veulent ni de la domination personnelle de Lénine sur le Parti ni de la transformation de celui-ci en un noyau de conjurés, en cet état-major de révolutionnaires professionnels dont Lénine vient de tracer le modèle dans Que faire? et la Lettre à un camarade. De plus, parmi les « durs » qui forment l'entourage de Lénine - disciples personnels, agents ou hommes de main de l'Iskra, jeunes militants de province - plusieurs n'inspirent en dehors de ce cercle qu'une franche aversion. D'âpres controverses marquent le déroulement de la crise. Les adversaires de Lénine opposent à sa conception d'un parti fermé, sélectionné, réservé aux révolutionnaires professionnels, celle d'un rassemblement largement ouvert à tous ; ils mettent également en cause la légitimité, la moralité des moyens BibliotecaGino Bianco impitoyables par lesquels Lénine entend épurer les instances du Parti et s'en rendre maître ; mais surtout, ils s'en prennent à ce « culte de la personnalité » alors encore embryonnaire, mais qui ne tardera pas à caractériser le léninisme et contre lequel les menchéviks, fermement partisans d'une direction collective, ne .cesseront de s'insurger. Dès le lendemain du IIe Congrès, Fiodor Dan va proclamer l'opposition irréductible des menchéviks aux prétentions de Lénine à un rôle privilégié : Pouvqns-nous tolérer une situation qui lie tout l'avenir du Parti et partant, celui du prolétariat russe et de la liberté de la Russie, au sort d'un seul - et cela quels que soient son intelligence, ses dons et son dynamisme personnels ? 1 Le conflit idéologique et personnel se double d'une lutte acharnée pour le pouvoir dans le Parti, chaque tendance cherchant à s'assurer la possession de ses organes centraux. Depuis octobre 1903, les menchéviks sont en majorité à la rédaction de l' I skra, le journal du Parti, dont Lénine a démissionné après que Plékhanov eut pris parti pour ses adversaires dans un différend portant précisément sur la composition du comité de rédaction. En revanche, le Comité central est bolchévique, tandis que les menchéviks disposent d.~ la Ligue des sociauxdémocrates révolutionnaires russes à l'étranger. Encore le Comité central échappera-t-il provisoirement à Lénine. Un certain nombre de ses membres bolchéviques, notamment G. M. Krjijanovski et V.A. Noskov, souhaitent en effet un rapprochement avec les menchéviks -· et 1. N. Riazanov : Ra.zbityié illiouzii. K uoprosou o prilchinaklt lcrizisa u nachei partii. Genève 1904, p. 16. 144. (Pour plus de détnils sur lt-s controverses nu sein du Pnrli avant. pendant cl après le II• Congrès en 1903, voir notnmmcnl Bertram D. \Voire : Tliree Who l\Iade a Reuo/11tio11, New York, Dia) Press, 1048. - N.d.l.R.
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