120 mettre fin notamment à l'opposition entre paysans et citadins. Les idées économiques exposées par Boukharine pendant les années de la nep et en 1929 s'inspiraient de ces vues. Mais leur réalisation, telle que l'envisageaient les « boukhariniens », débordait largement le do- . ; . 1naine econom1que. En 1929, Staline n'eut aucun mal à se débarrasser de Boukharine, nullement fait pour se mesurer à un tel maître de la chicane, et qui ignorait tout des moyens d'action offerts par l'appareil du Parti et de la police. Mais la carrière de Boukharine eut encore un épilogue significatif bien qu'inattendu. Nous savons depuis quelques années - mais Boukharine l'avait révélé dès 1936 au cours d'un voyage à l'étranger* - qu'en 1934 Staline se vit amené à changer de tactique dans ses rapports avec ses adversaires. Provisoirement contraint, semble-t-il, de renoncer aux moyens directs d'élimination, Staline feignit, pour gagner du temps, de vouloir se réconcilier avec eux. Les membres de l'opposition furent donc autorisés à paraître au XVIIe Congrès du Parti, en 1934, et certains d'entre eux, dont Boukharine, furent appelés à siéger à la commission chargée de préparer le texte de la nouvelle Constitution. Boukharine aurait joué le rôle principal dans la rédaction du projet tout entier ; en tout cas on lui doit le chapitre X, qui traite des droits et des devoirs fondamentaux des citoyens. A-t-il jamais pu croire que Staline consentirait un jour à l'application effective de cette Constitution ? Ses conversations avec B. I. Nicolaïevski ainsi qu'avec Fiodor et Lydia Dan laissent plutôt supposer qu'il ne se faisait guère d'illusions et s'attendait au pire. Tandis que Boukharine s'employait à créer les conditions de la période de « paix sociale » préconisée par Lénine, ses amis juristes, et notamment E. B. Pachoukanis, préparaient de leur côté la révision du droit criminel. Les débats préliminaires eurent Heu au cours des six derniers mois de 1936, c'est-à-dire en pleine purge (celle de Iéjov ). Pachoukanis, quelques années plus tôt, avait dû abjurer ses opinions hérétiques sur le dépérissement de l'Etat (de façon à se conformer à la nouvelle version stalinienne de la doctrine) ; il n'en venait pas moins d'être nommé commissaire adjoint à la Justice, et avait conservé son poste à la tête de l'Institut juridique de l'Académie. Le nouveau code pénal a{iquel il travaillait avec son équipe devait être, comme le projet de Consti- * Cf. Lydia Dan : " Boukharine, Dan et Staline », Contrat social, juillet-aoi\t 1964. - N. d. l. R. · BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL tution auquel Boukharine mettait les dernières touches, adapté à la nouvelle ère de « paix sociale » : on y prévoyait notamment l'abolition de la peine de mort ... Vers la fin de l'année - et, semble-t-il, très soudainement - Staline décida de porter le coup de grâce à tout ce dangereux libéralisme. Est-ce excès d'imagination que .de supposer qu'il n'en avait favorisé l'émergence au grand jour que pour repérer, dans l'intelligentsia dite « de droite » ( on sait que dans le jargon communiste ce terme désigne ceux qui veulent moins de terreur et plus de modération), ceux qu'il allait faire tuer ou « éliminer » en l938 et 1939 ? Pachoukanis et Boukharine furent tous deux arrêtés dès la fin de l'année 1936 ou tout au début de 1937. Pachoukanis fut probablement exécuté sur-le-champ. Boukharine, lui, dut attendre jusqu'en 1938 pour jouer le rôle qu'on lui réservait dans le dernier des grands procès. Pour Staline il était manifestement de la plus haute importance de discréditer le personnage de Boukharine dans son intégralité. En effet, les opinions de Boukharine, si étroitement associées aux dernières pensées de Lénine, rendaient absolument insoutenable la position de Staline selon laquelle la politique de collectivisation forcée procédait du léninisme le plus pur. A mon sens, c'est pour cette raison que Boukharine fut accusé non seulement, comme tout le monde, de trahison, mais aussi d'avoir comploté en 1918 l'assassinat de Lénine. Or même le N.K.V.D. n'a pas réussi à arracher à Boukharine l' « aveu » de ce dernier crime, ce qui témoigne de son courage et d'une rare force d'âme. Tout ce qu'on put jamais lui faire admettre, c'est le fait (bien connu) qu'il avait eu l'imprudence, en 1918, de participer à des entretiens avec les socialistes-révolutionnaires de gauche ; et qu'au cours de ces entretiens, on avait évoqué la possibilité d'arrêter Lénine et de dénoncer le traité de B.rest-Litovsk. La droiture dont Boukharine fit preuve sur ce plan montre qu'il mérite mieux que le jugement sévère que lui ont réservé bon nombre d'auteurs. Quant à Pachoukanis - théoricien éminent, le seul ou presque parmi les juristes marxistes russes dont la pensée force le respect - on peut supposer qu'il ne se prêta pas à la comédie des « aveux » et fut donc « supprimé » sans autre forme de ' proces. La seule existence de Boukharine menaçait la position de Staline comme héritier légitime de Lénine : il n'en faut pas plus pour expli-
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