Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

118 grâce à la sagesse éternelle incarnée dans ~ette entité nommée « le Parti ». C'est pourquoi, en dépit de quelques légères fluctuations, la voie suivie n'a cessé d'être celle de la sagesse, de la justice, de l'humanité,. du progrès ,~t du succ~s matériel. Aussi, du fait meme qu ils sont presentement détenteurs de cette sagesse éternelle, les dirigeants en place exercent-ils un pouvoir légitime. Aucun historien digne de ce nom ne saurait se laisser prendre à pareil argument de basse politique, par surcroît cousu de fil 1?lanc. Quelles que soient la vitalité de l'esprit de corps et la force de la tra~i tion chez le_smembres actuels du Parti, aptes quarante-cinq ans ( au moins) d'une dictature au sommet, il est manifeste que le véritable pouvoir de décision appartient à une poignée d'individus. Il,, est non moins difficile de parler d~ sagesse eternelle lorsque les faits démontrent à l'évidence qu'en U.R.S.S. la politique des dirigeants n'a cessé de s'inspirer de pratique plus que de doctrine, et que pour chacun d'eux il s'_estconstamment agi de saisir la moindre occas10~.d~ po~~- ser au premier plan sa personne ou 1 idee qu il se faisait de l'intérêt national, après quoi on se hâtait de mettre à jour la doctrine conformément aux nécessités de l'heure. Par-dessus tout, et quoi qu'en disent ou aient dit les chefs des factions victorieuses, ils n'ont cessé de puiser largement dans le fonds des vaincus. Se défaire d'un adversaire ou berner un rival en s'appropriant ses idées est monnaie courante dans les milieux politiques des pays démocratiques, mais ceux-ci ne disp_osent à cet égard d'aucun monopole. Toutefois, dans la Russie des Soviets, les conséquences pour les victimes de l'opération sont autrement lourdes. Lorsque Peel, comme disait Disraeli, « surprit les Whigs au bain et s'en alla avec leurs vêtements », il n'eut pas à les enfermer à la Tour de Londres, et d'ailleurs il n'y serait pas parvenu. En revanche, l?rsqu'en 1921 Lénine introduisit la nep, depuis longtemps préconisée par les menchéviks, ceux-ci étaient déjà incarcérés et hors d'état de se faire entendre. De même Staline imposa - mais en la poussant à l'extrême - la politique prônée depuis longtemp~ par Tr~tski . e,,t ses partisans ; là aussi, aptes les avoir exiles ou emprisonnés. De nos jours encore, les exemples ne manquent pas du maintien de cette pratique ,, consacree. Pour l'historien de bonne foi, ce sont là des raisons simples et directes (mais non moins probantes pour cela) de consacrer aux vaincus ·sibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL . ' . de l'histoire autant d'attention qu aux vainqueurs. Mais si l'on veut aller ~lu~ au _fond des choses · on constate que les 1dees vivent d'une vie ' qui échappe aux schémas _méc~nicistes des communistes et à leur class1ficat1on simpliste en vrai-faux, juste-erroné, adop!~- dépassé. L'esprit humain, ~êm~ dans _les soc1etés dites totalitaires, est suJet a des mfluences qu'il n'est pas toujours facile de déga~er. et de définir. Les idées d'un homme redu1t a_u silence ne perdent pas forcément l~ur P?uvo~r de rayonnement, ni celui de travailler 1 esprit de ses successeurs. Il ne reste sans doute pas grand-chose de l'i~fluence ~u parti" socialisterévolutionnaire mais en va-t-il de meme de ses idées, de la théorie socialiste-révolutionnaire ? On retrouve cette influence non seulement chez Lénine mais dans la pratique soviétique des dernière~ années de la nep. Puisque l'échec de la collectivisation agricole sous sa forme actuelle contraindra, tôt ou tard, les responsables à rechercher les moyens d'assainir la situation est-on si sûr que les conceptions socialiste~-révolutionnaires sont « à jamais » dépassées ? Et ce qui est vrai des théories s.-r. l'est aussi et sans doute de façon plus frappante enco;e, des idées des menchéviks d'une part, des « boukhariniens » de l'autre. * * * Aux MENCHÉVIKS on peut reprocher, comme le rappelle ici même M. Getzler, ~eur manque d'habileté tactique. On peut aussi mettre en lumière leur incapacité dogmatique à reconnaître que la liberté d'expression s_é'tend à tous, et pas seulement au « prolétariat ». Pourtant, pour diverses raisons, la place des menchéviks dans l'histoire est assurée. Tombée en 1917 au degré le plus bas, leur influence était redevenue considérable dès 1920, malgré tous les moyens, arbitraires autant qu'illégau~, ~is en œuvre par les communistes pour les reduue au silence. Deux facteurs ont joué un rôle dominant dans ce regain de popularité. Le premier est la force de leurs critiques de la politique économique. Bien avant que Lén~ne ne reconnût les échecs subis, les menchéviks dénonçaient les dangers du communisme de guerre. Alors que le pays sombrait dans le chaos, que' s'amplifiait la violence et s'étendait la misère, le pouvoir bolchévique continuait fiévreusement de nationaliser et de centraliser - du moins sur le papier. Mais les menchéviks préconisaient l'adoption d'une attitude réaliste vis-à-vis d'une paysannerie qui décidément n'était pas encore prête pour le socialisme.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==