Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

ALAIN • • SA POSITION SOCIALE par Léon Emery ETÉ, ROCHER D'AIR PUR ... » Cette (( image de Valéry a fait l'objet sous la plume d'Alain d'un commentaire mémorable, mais le point de vue de la poésie pure ne sera pas retenu ici, pas plus qu'il ne sera question d'esquisser, après tant d'autres, une présentation d'ensemble de la pensée du critique. Je veux seulement dire que cette éblouissante formule paraît rendre fort bien l'impression qu'on éprouve quand on plonge dans l'œuvre, apparemment si diverse, d'un philosophe original qui, à sa manière, est souvent un authentique poète. Rocher éclatant car, en dépit de la multiplicité des sujets et de la souplesse des tonalités, le lecteur se meut en un monde intellectuel homogène et solide qui peut même donner le sentiment d'une immuable compacité; mais pourtant transparence et lumière car tout témoigne, qu'on approuve ou non, de la tranquille clarté d'un ferme regard et fait penser aux fameux yeux bleus qui jaugeaient les choses de ce monde avec une sérénité assez olympienne ou gœthéenne. Pierre par pierre, Alain n'a cessé de bâtir son palais et, bien qu'il l'ait dédié à l'esprit libre, on a le droit de commencer par dire que ce palais est aussi une forteresse sévèrement gardée, protégée par des exclusions et des refus dont la valeur de caractérisation est immense, d'autant que les disciples les ont encore accentués. Tout le monde sait qu'Alain a condamné sans appel non seulement Freud et ses monomanies, mais toute psychologie du subconscient et qu'il haussait les épaules devant ce que les modernes nomment emphatiquement une psychologie des profondeurs. De même il était fort dédaigneux pour l'école sociologique obsédée par les primitifs, très réservé à l'égard de BergBibliotecaGino Bianco son et des mystères de l'intuition. On voit sans peine que son horreur du vague, de ses tentations et de ses complaisances, dictait des verdicts tout compte fait fort tranchants ; mais il faut aller plus loin, jusqu'au centre. Alain se séparait délibérément de son temps non seulement parce qu'il se tenait en garde contre les mysticismes obscurs dans l'ombre desquels il confondait presque sans y penser les plus élevés et les plus admirés, mais il opposait au déferlement de l'histoire et de l'évolutionnisme généralisé une constance invincible, choix résolu en faveur des permanences de l'homme et de la société. Son beau livre sur Les Dieux est, comme il l'a dit justement, une statique de la religion et l'on pourrait se demander si l'ensemble de son œuvre n'est pas en d~finitive une statique du monde. Cela posé, on devrait s'étonner qu'un écrivain qui marche si 'résolument à contre-courant - ou plutôt qui reste immobile en sa force alors qu'autour de lui tout cède au vertige - a pu néanmoins conquérir sans rien faire pour cela un tel public et une telle gloire. Peut-être faut-il voir là une des preuves les plus convaincantes que les hommes, quoi qu'on dise, ont toujours besoin de ce qui les stabilise et leur donne accès à un univers transparent, à l'air pur et baigné de soleil d'un été de la pensée, non point orageux comme le Grand Midi de Nietzsche, mais tonique et équilibrant. Dans un siècle qui chaque jour invente ou fomente dix révolutions, Alain est devenu, avec un parfait naturel, l'un des représentants les plus notables d'un humanisme socratique vers lequel se tournent nombre de ceux qui sentent le besoin d'un point d'appui, et c'est pourquoi ce professeur célèbre, dont l'empreinte sur tant

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