106 1962 le revenu national ne s'était accru que de 1,4 %, qu'en 1963 il diminua de 2,2 %, qu'en 1964 il augmenta de 0,7 % seulement et qu'en 1965, grâce à un accroissement de 3,6 % , il n'avait dépassé que de 2 % le niveau atteint trois ans plus tôt. Devant cette situation, la détermination de maintenir le statu quo commença à fléchir. Les dirigeants durent battre en retraite devant -des économistes dont le plus connu est Ota Sik. Ceux-ci mirent au point toute une série de réformes radicales en matière de planification et de gestion des entreprises ; certaines entrèrent en application en janvier 1966, d'autres en janvier 1967. Parmi ces économistes épris de changement figurent nombre d'anciens hommes de l' appareil ; le professeur Sik lui-même .commença sa carrière en 1945 comme secrétaire du chef de la section d'organisation au secrétariat général du Parti. Cependant, au moment où ils commencèrent à élever la voix, ils n'occupaient plus de postes en vue. Dès lors, l'acceptation, plus ou moins réticente, de leurs propositions fit perdre à la direction du Parti son masque monolithique - si elle ne lui fit pas encore perdre la face. Le marasme économique ne manqua pas d'avoir des répercussions sur la vie des ouvriers. Selon les statistiques officielles, le salaire nominal moyen augmenta de 3 % en 1960, de 2,5 % en 1961, de 0,7 % en 1962 ; il diminua de 0,1 % en 1963, augmenta à nouveau de 2,9 % en 1964 et de 2,3 % ~n 1965. Le tableau n'est guère brillant, mais il serait plus ·sombre encore s'il était possible de calculer les salaires réels. Par exemple, on enregistra des hausses de prix en 1962 et 1963, alors que la qualité des produits ne cessait de s'avilir. Le mécontentement des salariés ne fut nullement apaisé par les réformes. En fait, celles-ci tendent nettement à aggraver la condition ouvrière. Il est constant que l~s économistes communistes, quel que soit leur zèle réformateur, sont incapables d'imaginer des modifications à l'état de choses existant sans faire payer à l'ouvrier le prix de la gabegie dont les uniques responsables sont les hommes de l'appareil. Lors même qu'ils critiquent la direction de l'économie et préconisent des changements profonds, ils restent les victimes de la propagande, longtemps leur unique nourriture intellectuelle. Tout ce qu'ils peuvent lire à propos d'expansion et de stabilité économiques, d'aménagement du territoire, de politique de l'emploi, de formation professionnelle accélérée et de réadaptation professionnelle, etc., leur apparaît comme autant de mensonges capitalistes ; l'idée que ce · BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL sont là des conquêtes du mouvement syndical ne les effleure même pas. Cela s'applique non seulement à Ota Sik et à ses amis, mais encore au Soviétique Liberman et à bien d'autres. C'est spontanément qu'ils considèrent tout préjudice causé à l'ouvrier comme chose regrettable, mais nécessaire, tant ils sont entichés du libre jeu des forces du marché. Pour les ouvriers tchécoslovaques, la réforme en cours signifie avant tout éhômage, réduction des salaires allant de pair avec une augmentation des traitements des cadres, accélération des cadences de production et absence de toute garantie d'une paie minimale : leur niveau de vie dépend désormais des profits réalisés par l'entreprise. La résistance passive dans les usines, qui n'avait jamais cessé depuis le coup de Prague pour redoubler peu après le soulèvement de ~ 19 5 3, s'est considérablement renforcée depuis un an environ ; en partie du fait que certains des aspects les plus redoutables du régime se sont atténués, en partie à cause des privations accrues. La pression morale que les ouvriers exercent sur les délégués des pseudo-syndicats officiels est devenue telle qu'en maints endroits on a vu ces derniers ignorer les consignes et défendre les intérêts du personnel. Après vingt années d'étroite collaboration avec les chefs d'entreprise, ce changement d'attitude des comités syndicaux est digne de mention, surtout lorsqu'on sait à quel point ces comités sont liés aux sections locales du Parti. C'est ainsi qu'a commencé le processus d'émiettement du . pouvoir. Le rôle des intellectuels LA SITUATIONqu'on a tenté de décrire n'est rien moins que spectaculaire, aussi a-t-elle échappé à la plupart des observateurs. Aux étrangers en premier lieu, cela va de soi, mais aussi à ceux qui, dans le pays même, n'ont pas de contacts avec la vie c;les usines (cas fréquent en régime totalitaire, le propre de celui-ci étant de diviser la société en couches et groupes étanches). On a souvent affirmé que l'équipe de Novotny avait succombé à l'assaut des écrivains, professeurs, intellectuels de tout ordre qui, depuis quelque temps, ne lui avaient pas ménagé leurs critiques. La même illusion d'optiqu~ avait été constatée dans le cas de la Pologne et de la Hongrie, en 1956. L'erreur, si elle est considérable, n'en est pas moins relativement aisée à expliquer : en pareil cas, ceux qui détiennent les moyens d'expression apparaissent comme la force réelle à qui incombe d'abattre la dictature.
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