Le Contrat Social - anno XII - n. 2-3 - apr.-set. 1968

B. SOUVARJNE télévision, le théâtre, le cinéma, partout où se concentrent les moyens d'intoxiquer l'opinion publique. Le jour vient tôt ou tard où les effets s'en font sentir, quand la discorde politique et sociale revêt l'intensité de la guerre civile. * * * U NE ACCALMIE n'est pas une solution, ni une évolution, et rien ne dit qu'en France tout finisse par des élections. Personne ne pense sérieusement que la perturbation de ce printemps soit surmontée comme se dissipe un mauvais rêve. Le ministre de l'Intérieur appréhende, sans doute à tort, un prochain essai de «révolution d'Octobre», à tort car «ce qui arrive, c'est ce que personne n'avait prévu», a écrit pertinemment Engels; mais qui donc a menti effrontément, a trompé systématiquement le public, a bourré le crâne des jeunes lors du récent cinquantenaire de l'Octobre russe, sinon la Radio-Télévision aux ordres du pouvoir (sans parler de la presse bourgeoise malpropre, infestée de serviteurs du despotisme oriental)? Le Général-Président détient, dit-on, un remède radical à la « société de consommation» honnie par les émeutiers de Mai, remède qui se résume dans le terme magique de « participation» et dont le contenu serait l'« association du capital et du travail» que les parties intéressées repoussent. Avant d'en savoir plus long, observons que la principale consommation à réprouver serait celle des mensonges et des imbécillités que distribue à profusion la presse bourgeoise, à commencer par le Monde dont les apologies écœurantes de la chienlit chinoise sont pour beaucoup dans la« chienlit» parisienne dénoncée par de Gaulle. On peut douter qu'en haut lieu quelqu'un se préoccupe de restreindre cette consommation dégoûtante qui n'a pas encore été interdite dans les établissements de l'État et qui dure toujours. Et que ces messieurs se proposent de compenser les pertes matérielles dues à une « poignée de meneurs», aux « groupuscules», autre ironie de l'histoire : avant de pouvoir évaluer approximativement le coût d'un mois de guerre civile, on n'ignore pas que la France a perdu en un trimestre un tiers de son encaisse en or et en monnaies de change (plus de 2 milliards de dollars); que le manque en production se chiffre à 15 milliards de francs nouveaux, le déficil budgétaire à quelque 13 milliards de ces francs, l'augmentalion immédiate des impôts et laxes à 2 milliards et demi, l'accroissement des salaires à 20 milliards. Dira-t-on après cela que « l'incident esl clos»? L'alourdisse1ncnt des exigences fiscales, la hausse des prix et l'inflation ne font que reparler des échéances inéluctables. La « parlicipalion » qui s'élabore dans les coulisses élyséennes fait jaser les augures, mais reste énigmatique en attendant d'être sou1nise à référendum, lequel, comme les précédcn ls, consistera en une alternative : l'approbation ou BibliotecaGino Bianco 101 le chaos. Le ministre de la Justice ne craint pas de révéler que« de Gaulle est le Castro français», ce qui signifie, si les mots ont un sens, qu'une certaine variété de communisme est promise à la France. D'autre part, la presse de l'Espagne franquiste nous apprend (11 juin) que « de Gaulle découvre la Phalange», que la participation partage avec le phalangisme « la conception de l'entreprise», que les paroles du GénéralPrésident « ressemblent chaque jour davantage aux discours que le général Franco répète inlassablement depuis trente ans». Ces références disparates à Castro et à Franco ont de quoi rendre le Français moyen perplexe, même le Français au-dessus de la moyenne. Il faut donc s'armer de patience : de Gaulle a son secret, le chef a son mystère, un très vaste dessein depuis longtemps conçu; selon son habitude il en fait son affaire, mais la France qui vote n'en a jamais rien su. Pour qui pense avec Saint-Simon et Auguste Comte que la société est avant tout un système d'« idées morales communes», la participation ne sera pas le remède , dont la France resse_nt le besoin, pas plus qu aucun ersatz de marxisme avançant la primauté de l'économique. Même sans suivre à la lettre Auguste Comte quand il souligne la nécessité d'une réforme intellectuelle et morale préalable à la réforme sociale, ce qu'admettait Renan dans son écrit fameux de 1871, il est permis de douter que la participation en projet apaise les passions perverties par les poisons de l'intelligence et débridées par une politique sans scrupules. A court terme, la plus pressante question qui se pose rappelle le mot de Lénine sur la révolution russe de 1905 qu'il regardait après coup comme la« répétition générale» de celle de 1917 : il s'agit à présent de savoir si les« événéments » de Mai auront été une répétition générale pour les uns ou pour les autres. B. SouvARINE. Post-scriptum Article écrit loin de Paris, dans des conditions inhabituelles, la plupart des allusions et citations étant de mémoire, mais fidèles au sens. Nul n'y trouvera trace de << structure >>, de << dialogue >> ni de << contestation >>, rien de l'écœurant jargon à la mode. On n'a pu ici qu'effleurer les principaux aspects de la guerre civile, avec l'espoir qu'un de nos collaborateurs universitaires traite ultérieurement des affaires de sa compétence comme Raymond Aron et Pierre Gaxotte l'ont fait dans le Figaro. Le désastre économique nous dépasse, dont le Bulletin de Paris nous apprend qu'il est comparable à la défaite milita!re de 1940, et la pagaille dans l'Église exigerait une étude à part. On regrette de n'avoir pu citer l'article si pertinent de Gilbert Co1ntc paru dans le Monde du 4 juillet, cet organe officieux de. toutes les chienlits cl des guérilleros de tout poil ayant accordé une parcitnonieuse hospitalité à de très rares collaborateurs aussi occasionnels qu'estimables, en bonne n1aison de co1n1nerce qui sait élargir sa clientèle.

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