Le Contrat Social - anno XII - n. 1 - gen.-mar. 1968

84 · de socialistes de droite, donc « réformistes », versèrent dans le « jusqu'auboutisme », alors que la gauche socialiste, bien que répudiant le défaitisme léninien, maintenait son internationalisme de principe et de tradition. Cette thèse ne correspond cependant pas tout à fait à la réalité : mentionnons seulement le cas de nombreux guesdistes acquis sans réserve à la défense nationale, ou celui - à l'inverse - du réformiste Edouard Bernstein s'opposant avec énergie au chauvinisme effréné de maints sociauxdémocrates allemands. L'exemple italien apporte un démenti encore plus probant à cette assimilation abusive entre réformisme et jusqu'auboutisme. Contrairement aux autres puissances belligérantes prises, dès juillet 1914, dans un engrenage où chacune pouvait se _considérer comme victime d'une agression, l'Italie entra en guerre de propos délibéré, ce• qui amena l'immense majorité des socialistes de la péninsule à se désolidariser de cette guerre. Mais durant l'été de 1918, après Caporetto, l'Italie se trouvant brusquement ouverte à l'invasion, Turati prononça à la Chambre, au nom du groupe socialiste, un discours insistant sur la nécessité de la défense nationale. Attaqué pour cette raison au congrès de Rome (2 septembre 1918) par l'aile gauche, il répondit par des _arguments montrant que le socialisme n'avait pas le droit de se désintéresser de l'intégrité de la nation et du sort qu'une invasion ou un démembrement ne manquent pas d'infliger aux travailleurs. Toute la complexité du problème apparaît dans ce discours, et les arguments de· Turati ne manquent ni de finesse ni de pertinence. La guerre terminée, l'i talle connaît une période trouble où se succèdent grèves, occupations d'usines, échauffourées et violences de Bibl.ioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL toute sorte, et où la phraséologie pseudo-révolutionnaire l'emporte sur l'action réfléchie. Dès octobre 1919, au congrès de Bologne, Turati ·redoute des réactions populaires contre un mouvement socialiste qui se croit fort alors qu'il est faible. Il prévoit des violences antisocialistes, « la réaction la plus féroce, la ruine du mouvement pour un demi-siècle », la révolte des classes n1oyennes, des petites gens, de ceux « qui s'approchaient de nous... et que nous rejetons du côté opposé ». C'est à ce même congrès, deux ans à peine après le coup d'Etat d'Octobre, que Turati prévoit pour l'expérience ' bolchéviste « une odyssée infinie de privations, de retours vers le passé, des décennies de souffrances et de pauvreté » et la création d'une « immense machine militariste, danger permanent pour la démocratie ». ~ C'est ensuite, en janvier 1.921, à Livourne, la sécession de l'extrême gauche qui choisit Moscou, la gauche majoritaire groupée autour de Serrati n'acceptant pas les « 21 conditions ». Mais dès octobre 1921 (congrès de Milan), on sent que Serrati, se rapprochant à nouveau de Moscou, veut se débarrasser de l'aile droite. L'intervention de Turati montre les dangers qui guettent le socialisme face au fascisme montant. Et un an plus tard, au début d'octobre 1922, c'est le congrès de Rome, l'exclusion des « réformistes » avec Turati par la gauche serratienne qui réunit un peu plus de la moitié des mandats. Le « discours d'adieu » de Turati est un document dont se dégage une poignante émotion. C'est l'émiettement complet du mouvement ouvrier italien à l'heure même du péril suprême : trois semaines plus tard à peine, Mussolini s'installait au pouvoir. LUCIEN LAURAT. ,

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