Le Contrat Social - anno XII - n. 1 - gen.-mar. 1968

82 · lement à des hommes avec leurs passions et leurs idées, agissant dans· un milieu qui est précisément celui que décrit Tasca dans la citation qu'on a faite : « configuration du sol », « structure économique et sociale », « longue servitude et liberté toute récente » ( entendez : institutions politiques). Il est curieux que l'auteur ait à peine esquissé la recherche historique dont il trace ainsi le programme, et plus surprenant encore qu'il n'ait pas brossé un tableau des forces en jeu, c'est-à-dire des groupes et des hommes. Sur le premier point, il se limite à des indications fugitives. S'il mentionne (p. 3 0) la « faiblesse organique » de la vie politique et en résume les origines historiques, ce n'est qu'une vue cavalière de quelques lignes, qui fait regretter l'absence d'une analyse plus approfondie. Ailleurs (p. 405), il. déplore que « la veine libertaire de la Ire Internationale » ait disparu du mouvement ~ocialiste. C'est à peu près tout : l'épaisseur historique est absente. Il affirme du reste que le fascisme est un phénomène spécifique de l'entre-deux-guerres, et ajoute que « toute tentative pour le définir grâce à des comparaisons avec des antécédents historiques - comme par exemple le bonapartisme - reste stérile et risque de nous fourvoyer » (p. 347). Voilà qui dispense de sortir de l'époque contemporaine. Si du moins l'auteur s'était attaché à caractériser avec précision les forces en jeu - hommes et groupes - il eût sans doute été conduit à rappeler leurs origines et leur histoire, mais il y songe si peu que son livre risque de dérouter parfois ceux qui ne sont pas familiers avec l'histoire de l'Italie à l'époque étudiée. Quant aux institutions politiques et à leur fonctionnement, il n'en est pratiquement pas question. Pourtant, là où l'auteur ne voit qu'un combat entre le· socialisme et le fascisme, on pourrait sans doute à plus juste titre apercevoir une campagne du parti fasciste pour s'emparer de l'Etat, dont lui-même signale que les forces étaient beaucoup plus redoutables que cel)es des partis ouvriers et des syndicats. La carence de l'Etat italien en face de l'agresseur fasciste est en général assez négligée : il y a quelques indications sur la collusion de l'armée avec les fascistes et sur l'attitude des préfets, une phrase - une seule - sur l'inertie de la magistrature. Naissance du fascisme n'est donc pas à proprement parler un livre d'historien. Mais ce n'est pas non plus le livre d'un partisan. Silone montre dans l'auteur un homme tout à fait étranger à l'esprit de parti) et c'est bien ainsi qu'il apparaît au lecteur. Militant socialiste d'esprit indépendant, il s'efforce de voir clair Bibl.iotecaGino.Bianco LE CONTRAT SOCIAL pour comprendre les fautes passées, sans prendre garde que ·1e passé n'est compris par l'historien que lorsque la notion de faute ou d'erreur en est éliminée. Comme cependant il est lucide, on trouve, s'agissant de tel ou tel événement, en même temps que l'amer regret du militant qu'irrite l'aveuglement des hommes et des groupes, l'embryon d'une explication historique. Par exemple, l'auteur parle à diverses reprises du problème de la collaboration des socialistes au gouvernement. Il signale (p. 91) la réponse de Turati à Giolitti : « Nous ne sommes pas des ambitieux. Il nous faudrait accepter à titre personnel ; les nôtres ne nous suivraient pas. » Ailleurs (pp. 182-83 ), il écrit : « Il resterait une issue : engager dans la lutte contre le fascisme l'Etat avec ses énormes ressources, mais cette issue est fermée, car le ~ parti socialiste ne permet au groupe parlementaire ni le soutien ni la participation. » Et plus loin (pp. 264-65), il montre, après la scission du parti socialiste, l'irréalisme de la majorité « maximaliste », et critique âprement les minoritaires réformistes « empêtrés eux aussi dans la routine » et qui « balbutient les formules nouvelles qui sonnent faux à leurs propres oreilles >>. On voit ici le militant déplorer que les faits n'aient pas été différents, là où l 'historien aurait cherché pourquoi ils ont été ce qu'ils furent. Peut-être d'ailleurs faut-il voir le germe d'une explication dans les termes dont il use lorsque (p. 151) il montre des organisations socialistes et syndicalistes locales détruites une à une par les fasdstes sans tenter de résister par une action d'ensemble : « Le socia- ·lisme, écrit-il, résultait de la somme de quelques milliers de socialismes locaux. Le manque d'une conscience nationale achevée, le cloisonnement municipal ont constitué un très grave handicap pour le socialisme italien. » Ce « manque d'une conscience nationale · achevée· » est sans doute un point qui aurait mérité un examen attentif. Un autre est la confusion qui règne dans la vie politique italienne, confusion dont l'auteur fait état à plusieurs reprises - notamment lorsqu'il remarque (p. 255) que le dernier gouvernement parlementaire « reflète le chaos qu'il devrait maîtriser » - et dont il signale à l'occasion (p. 201) les effets sur la vie nationale : « La crise des, institutions parlementaires, note-t~il, se répercute de plus en plus dans le pays. » Ce qui le frappe, là, c'est que le monde ouvrier tend à se manifester sur le plan syndical plus que sur le plan politique. C'est de ces traits-là ·qu'est constituée la ·« faiblesse organique » de la vie politique ita-

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