Le Contrat Social - anno XII - n. 1 - gen.-mar. 1968

QUELQUES LIVRES la double orientation de l'historien, attaché successivement à retracer les circonstances de la conquête fasciste et les aspects du danger communiste. Cette double orientation n'a évidemment rien de fortuit. Militant ouvrier, l'auteur a vu le fascisme se rapprocher du pouvoir et enfin s'en emparer sans qu'aucun obstacle sérieux se dressât sur son chemin, puis il a souffert de voir le parti communiste trahir les espoirs que tant de révolutionnaires avaient placés en lui. Le triomphe du fascisme lui a donné la conviction que la tactique des organisations ouvrières avait été erronée. Le sectarisme communiste l'a persuadé que l'idéologie était à redéfinir. Naissancedu fascisme est essentiellement une étude historique, mais c'est l'histoire vue par un militant. Socialiste, l'auteur s'attache à mettre en lumière les forces en présence : d'un côté, Mussolini et ses troupes ; de l'autre, les syndicalistes, _socialistes et communistes. Il s'agit pour lui de montrer le vrai visage de l'adversaire fasciste, et de comprendre les insuffisances doctrinales et tactiques qui ont amené la défaite des masses révolutionnaires. Il va de soi qu'il y a toujours de l'arbitraire dans le choix de l'historien. A l'époque dont il s'agit, l'auteur jouait depuis longtemps un rôle croissant dans les organisations ouvrières de Turin, et il fut dès sa création - en janvier 1921 - membre du P.C.I. On peut regretter qu'il ne dise rien de ce qu'il pensait alors, de la façon dont il jugeait la situation, de ses craintes et de ses espoirs. Mais dans sa préface Ignazio Silone le montre très marqué par sa longue activité syndicale, et on entrevoit ou l'on imagine un homme de tendance libertaire en ce qui concerne l'organisation économique, et ennemi du sectarisme en matière politique. Sans doute était-il de ces dirigeants turinois qu'il montre, lorsque le fascisme devint' menaçant dans le nord-ouest de l'Italie, allant à Rome demander à la· direction du P.C. qu'elle les autorise à s'allier avec les autres adversaires du fascisme, et qui se firent durement rabrouer (pp. 230-31 ). Si l'auteur n'est pas tendre pour le parti . auquel il appartenait à l'époque et dont la tactique s'inspira du sectarisme le plus étroit au lieu de se fonder sur une analyse de la situation, il ne montre pas d'indulgence non plus pour le parti socialiste et pour l'organisation syndicale, qui perdirent jour après jour, jusqu'à ]a marche sur Rome, Jeurs positions locales - municipalités, maisons du peuple, coopératives - sans jamais se montrer capables Biblioteca Gino Bianco 81 d'opposer à l'agression fasciste une parade efficace. Eux aussi s'inspiraient de principes et non de l'examen du réel. L'auteur pense qu'au moment des occupations d'usines, dans l'été de 1920, il existait des possibilités révolutionnaires que la direction socialiste fut incapable d'exploiter. Il pense aussi qu'un peu plus tard, les dirigeants socialistes auraient dû participer au pouvoir - leur collaboration était sollicitée - pour être en mesure de mettre en échec le fascisme avec les armes de l'Etat. Le parti socialiste ne sut être, remarque-t-il, ni réformiste ni révolutionnaire (p. 82 ), et ses chefs n'ont su « ni utiliser la légalité ni organiser l'illégalité » (p. 128). Il est évident que c'est le militant qui prononce ces jugements. L'historien, lui, n'a pas à juger, mais à comprendre. Un militant peut regretter les imperfections de la volonté ou de l'intelligence, la tâche de l'historien est d'expliquer le jeu de la nécessité. Rossi-Tasca, qui se fait historien et qui cherche la vérité, ne peut renoncer à sa foi socialiste. Et le socialisme est certes plus profondément enraciné en lui que la vocation d'historien. Aussi insistet-il sur la contingence de l'histoire : le marxisme affirme certes la nécessité de l'histoire, mais comment le militant socialiste ne croiraitil pas à l'utilité et à l'efficacité de l'effort individuel ? « On peut, écrit l'auteur, et on doit, pour mieux comprendre cette crise, remonter le cours des siècles, en chercher les causes profondes et lointaines : la configuration du sol, la structure économique et sociale, la longue servitude, la liberté toute récente, mal tolérée par les uns, mal assimilée par les autres. Mais ces causes ne contenaient pas nécessairement l'histoire des années 1919-22 ( ...). Dans de telles situations, l'action des facteurs immédiats - y compris le hasard - devient décisive ( ...). Alors, l'action de l'homme passe au premier plan, et l'histoire devient un drame où tout s'enchaîne et rien n'est fatal, où jusqu'à la dernière minute l'épilogue peut être modifié » (pp. 345-46 ). Ces lignes sont de 1938. L'auteur les confirme en 1950 (p. 383) : « La victoire du fascisme n'était pas fatale (...). Jusqu'à la fin, il y eut une marge de liberté et d'initiative, toujours plus restreinte il est vrai, qui eût permis de changer le cours des événements. » On ne plaidera pas ici pour la nécessité de l'histoire : il faut laisser cela au philosophe de l'histoire. L'historien, lui, se borne à exposer la nécessité des événements, c'est-à-dire à identifier et décrire les forces en présence, et à montrer leur interaction. Ces forces sont de toutes sortes, mais elles se ramènent essentiel-

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