QUELQUES LIVRES Béliaev décrit en détail la vie économique de l'Irak sous les premiers califes abbassides, pendant la brève époque de sa prospérité relative, lorsque cette province centrale du califat fut l'un des foyers principaux de civilisation dans le monde. Mais l'auteur souligne aussi les contradictions socio-économiques et les mouvements quasi nationaux qui contribuèrent dès le début à la décadence rapide de cet Empire de Bagdad. Deux événements sont examinés ici avec une attention particulière : la révolte de la secte des Khourramites, à la fois anti-islamique et antiarabe, qui s'étendit à une grande partie de l'Iran ; et la sanglante rébellion des Zandj, esclaves noirs importés d'Afrique orientale pour servir de main-d'œuvre dans les plantations de l'Irak du Sud. Ce sont là, en effet, des cas typiques, parmi d'autres, où il est facile de distinguer les causes profondes des soulèvements, qui furent sociales et ethniques, derrière les mots d'ordre religieux leur servant de prétexte. Le livre de Béliaev se termine assez brusquement avec l'écrasement de la rébellion des Zandj en 883, suivi de la décadence du régime esclavagiste en Irak. L'absence d'une conclusion plus générale est sans doute due à la mort de l'auteur, survenue peu de temps après la première édition de son ouvrage. Il s'agit donc d'une œuvre qui ne manque ni d'érudition ni de solidité, et qui esquisse d'une façon somme toute assez objective un chapitre important d'histoire générale. Mais s'agit-il de cela seulement ? N'y a-t-il point là également une signification politique, au moins sous-entendue ? On peut le croire. La première édition de l'ouvrage (1965) a été tirée à 3.000 exemplaires ; la deuxième, peu après (1966), à 9.000 : ce serait beaucoup, si cela ne s'adressait qu'aux seuls arabisants et islamisants de langue russe. On dirait que les « autorités compétentes » de Moscou, qui donnèrent licence à cet académicien d'écrire ce qu'il a écrit, sont peut-être moins dupes que · certains milieux dans les capitales de l'Occident, pour ce qui est des justifications historiques du panarabisme, ou de la nature du mythe de la « Nation arabe » - mythe dont !'U.R.S.S. se sert d'autre part avec force vociférations pour les besoins cyniques de sa politique étrangère. Il ne serait point imoossiblc - et un ouvrage tel que celui de Béliaev le suggérerait - que Moscou tienne en réserve Biblioteca Gino Bianco 79 d'autres prétextes, et prépare des << justifications » de rechange, pour couvrir éventuelle1nent cette politique. A. G. HoRoN. Guerre à la religion NIKITA STRUVE: Les Chrétiens en U.R.S.S. Paris 1963, Editions du Seuil, 374 pp. LA GUERREà la religion a été, depuis sa naissance jusqu'à ce jour, la constante la plus soutenue du régime soviétique. Celui-ci a varié sur tout : il a été internationaliste d'abord et il a ensuite créé un chauvinisme russe qui n'avait jamais existé ; il est farouchement ennemi de l'Allemagne, même pacifique, après avoir été l'allié d'Hitler ; il a tour à tour aboli, rétabli, supprimé, favorisé la propriété privée. Sur un seul point nul ne peut l'accuser de révisionnisme : il n'a jamais cessé, d'une façon ou de l'autre, de faire la guerre à la religion. Pour cela seul, il devrait par Mao et ses tenants lui être beaucoup pardonné. C'est cette guerre multiforme, mais continue, que M. Struve raconte dans un livre non seulement objectif, 1nais encore extrêmement prudent, pondéré, et d'autant plus éloquent. On a eu d'autres ouvrages sur ce thème, depuis Hecker : La Religion au pays des Soviets, en 1928 ; Paul B. Anderson : L'Eglise et la nation en Russie soviétique, en 1946 ; John Shelton Curtiss : Die Kirche in der Sowjetunion, en 1957 ; jusqu'à Constantin de Grünwald : La Vie religieuse en U.R.S.S., en 1961. .. Je cite au hasard d'un rayon de bibliothèque. Ces ouvrages relèvent plutôt, à des degrés divers, de la désinformation. Les plus honnêtes présentent les choses comme s'il s'était agi ou s'il s'agissait encore d'un duel entre Etat et Eglise combattant à armes égales, chaque côté ayant ses torts et ses justifications : « Si en 1918 le concile et le patriarche Tykhon n'avaient pas fulminé contre la révolution une condamnation qui était une véritable provocation à un soulèvement ..., si les autorités religieuses ne s'étaient pas refusées à un compromis ..., la paix aurait été possible. Mais l'Eglise est partie en guerre. C'est alors que les bolchéviks ont durci leur attitude. » Ainsi raisonne en particulier Curtiss. La vérité est autre. Lénine l'a exprimée franchement dans son article de 1909 : Parti ouvrier et religion : « Nous devons combattre la reli-
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