70 continuera d'étouffer le peuple vivant et réel. Mais le peuple n'aura pas la vie plus facile quand le bâton qui le frappera s'appellera populaire. (...) Aucun Etat, si démocratique que soient ses formes, voire la république politique la plus rouge, populaire uniquement au sens de ce mensonge connu sous le nom de représentation du peuple, n'est en mesure de donner à celui-ci ce dont il a besoin, c'està-dire la libre organisation de ses propres intérêts, de bas en haut, sans aucune immixtion, tutelle ou contrainte d'en haut, parce que tout Etat, même le plus républicain et le plus démocratique, même pseudopopulaire comme l'Etat imaginé par M. Marx, n'est pas autre chose, dans son essence, que -le gouvernement des masses de haut en bas par une minorité savante et par cela même privilégiée, prétendant mieux comprendre les véritables intérêts du peuple que le peuple lui-même. ,,. ,,. ,,. BAKOUNINE étudie ensuite, au point de vue étatique, le degré d'évolution de l'Angleterre, qui « n'a jamais été au fond un Etat au sens strict et moderne du mot », de l'Espagne, « détournée de sa voie normale par le fanatisme catholique et le despotisme de Charles V et de Philippe II », de l'Italie, « où depuis longtemps (...) se· sont perdues les traditions centralisatrices et unitaires de l'ancienne Rome », de l'Empire d'Autriche, « composé de quatre races antagoniques, qui ne s'aiment guère, sous l'hégémonie de la race allemande, unanimement détestée des trois autres (...), de la race slave notamment ». Ouvrons une parenthèse sur l'antagonisme germano-slave et le panslavisme, tel que ce dernier se présentait à l'époque : On peut dire que, depuis les temps les plus reculés, la mission historique des Allemands a été de conquérir les terres slaves, d'exterminer, de pacifier et de civiliser, c'est-à-dire de germaniser les Slaves et d'en faire des petits bourgeois. De là est née au cours de l'histoire, entre ces deux peuples, une profonde haine mutuelle entretenue d'un côté comme de l'autre par le particularisme de chacun d'eux. (...) Menacés, ou plutôt dès à présent persécutés de toutes parts, sinon écrasés par ce pangermanisme abhorré, les Slaves d'Autriche, à l'exception des Polonais, lui ont opposé une écœurante sottise, non moins contraire à la liberté et mortelle pour l'idéal du peuple : le panslavisme. ( ...) Une haine atroce et, ajoutons-le, parfaitement légitime, leur fait perdre la tête au point qu'ayant oublié ou ignorant les malheurs qui accablent la Lithuanie, la Pologne, la Petite-Russie, et le peuple grand-russe lui-même, sous le despotisme de Moscou et de Saint-Pétersbourg, ils en sont à attendre le salut de notre tsar-knout de toutes les Russies. Que pouvait apporter la renaissance des peuples slaves d'Autriche ? Dans quelles conditions cette renaissance doit-elle s'accomplir? En suivant l'ancienne voie de l'hégémonie de l'Etat ou la voie de la libération effective de tous les peuples, du moins de tous les peuples euroBibli.oteca Gino Bianco VARIÉTÉS péens, et du prolétariat tout entier, de quelque joug que ce soit et tout d'abord du joug étatique? Les Slaves doivent-ils s'affranchir de la domination étrangère et surtout de la domination germanique, pour eux la plus haïssable, en recourant à leur tour à la méthode allemande de conquête, de. rapine et de contrainte pour obliger les masses populaires slaves subjuguées à être ce qu'elles exècrent, auparavant de fidèles sujets allemands, et désormais de bons sujets slaves, ou seulement en s'insurgeant solidairement avec tout le prolétariat européen, au moyen de la révolution ·sociale ? (...) Les Slaves seraient-ils jaloux de la haine que les Allemands se sont attirée de tous les autres peuples européens ? Ou leur plairait-il de jouer au Dieu universel? Au diable donc tous les Slaves et tout leur avenir militaire si, après plusieurs siècles d'esclavage, de martyre, de bâillon, ils devaient apporter à l'humanité de nouvelles chaînes ! Bakounine se déclare adversaire de tout grand Etat slave : Et quel en serait l'intérêt pour les Slaves? Quel profit les masses populaires slaves tireraient-elles d'un grand Etat? Des Etats de ce genre offrent un avantage indéniable, cela nullement pour. les millions de prolétaires, mais pour la minorité privilégiée, le clergé, la noblesse, la bourgeoisie, voire la classe cultivée, c'est-à-dire cette classe qui, au nom de son érudition patentée et de sa prétendue supériorité intellectuelle, se croit destinée à gouverner les masses; un avantage, dis-je, pour quelques milliers d'oppresseurs, de bour:. reaux et d'exploiteurs du prolétariat. Pour le prolétariat lui-même, pour les masses ouvrières misérables, plus l'Etat sera grand, plus les chaînes seront lourdes et les prisons étouffantes. ( ...) Mais ne pourrait-on opposer à la centralisation pangermanique une Fédération panslave, c'est-à-dire une Confédération d'Etats slaves souverains ou associés, dans le genre de ceux de l'Amérique du Nord ou de la Suisse ? A cette question également nous devons répondre négativement. Une confédération de ce genre ne pourrait se former que si l'Empire russe s'écroulait et se dissociait en un certain nombre d'Etats séparés ou rattachés les uns aux autres par de simples liens fédéraux : - , (...) Ainsi donc, pour s'opposer sur le terrain politique ou national au pangermanisme triomphant, il ne reste qu'un moyen: former un grand Etat slave. Sous tous les autres rapports, ce moyen présente les pires inconvénients pour les Slaves, car il aurait nécessairement pour effet ·de les jeter en servitude sous le knout panrusse. Bakounine met· en relief la conception très différente que les Allemands et les Slaves ont de l'Etat : (...) Les Allemands cherchent dans l'Etat leur vie et leur lib9:té ; pour les Sla.tres, au contraire, l'Etat est un tombeau. Leur émapcipation, ils doivent la chercher en dehors de l'Etat, non seulement contre l'Etat allemand, mais aussi dans le soulèvement du peuple entier contre toute forme d'Etat, autrement dit dans la révolution soci~e. ( ...) Organiser les fqrres populaires pour accomplir cette révolution - telle est la ·tâche, l'unique tâche des hommes sincèrement désireux de libérer le peuple slave du joug séculaire.
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