Le Contrat Social - anno XII - n. 1 - gen.-mar. 1968

M. COLLINET son dénuement technique, l'autoexploitation à celle d'aùtrui. Ce que Proudhon reconnaît dans l'ouvrage déjà cité : Il faudrait que le petit propriétaire pût profiter de toutes les découvertes de la science, afin de soutenir la concurrence des grandes exploitations ; mais c'est ce qui ne peut avoir lieu qu'en réunissant les petites propriétés, ce qui est revenir en fait à la possession slave. La « possession slave » de Herzen et de Bakounine, c'est la concession gratuite de la terre aux agriculteurs qui en conservent la propriété sous forme collective (avec la rente foncière qui lui est liée). Le socialiste belge Colins offrait une autre solution : ménageant la propriété individuelle, la famille et l'hérédité en ligne directe, il préconisait une politique successorale de reprise des terres par l'Etat : celles-ci auraient constitué un domaine public inaliénable, loué à des groupements ou à des agriculteurs isolés, compte tenu de la diversité des régions et de l'utilité sociale des genres de cultures. Idées reprises aux Etats-Unis, dans Progress and Poverty (1880) par Henry George. Celui-ci écrivait : Faire de la terre une propriété privée, c'est un moyen aussi grossier, ruineux et incertain d'assurer son amélioration, que l'incendie d'une maison est un moyen grossier, ruineux et incertain de faire rôtir un porc (...). Donnez à un homme l'assurance qu'il moissonnera et il sèmera ; assurez-lui la possession de la maison dont il a besoin et il la construira (...). La propriété de la terre n'a rien à voir avec cela 13 • Dans les pays où il n'existe plus de terres disponibles, le prix de la terre monte aux dépens du capital d'exploitation et freine ainsi les améliorations techniques : la faim de terre, l'acquisition de propriétés de plus en plus rares et chères sont des facteurs régressifs de l'économie agricole. La dispersion des parcelles se précipite. Nous avons rappelé ce que Proudhon écrivait environ 1860 ; trente ans plus tard, voici ce que notait Baudrillart parcourant le Laonnois: Il n'est pas rare de rencontrer des champs qui ont à peine un mètre de largeur ; tel pommier, tel noyer couvre de ses branches quatre ou cinq parcelles et le propriétaire ne peut en enlever la récolte qu'en présence de ses voisins et en laissant la moitié des fruits tombés dans leµr champ 14 • Devant pareille pulvérisation du sol, les apôtres de l'association n'ont pas besoin d'évoquer 13. Progri, et Pauvretl, éd. de la Ligue pour Ja réforme f onclère, Bruxelles, p. 368. 14. Baudrlllart: Le, Populallona aoricole, de la France, ... JI. Biblioteca Gino Bianco 63 les communautés disparues ; il leur suffit de constater la mise en service, en Amérique, des faucheuses tractées et des moissonneuses-lieuses, ainsi que l'usage déjà ancien des batteuses à vapeur 15 pour montrer le paysan parcellaire condamné « à l'antique et barbare procédé du fléau 16 ». Car « la culture parcellaire qui ne se prête à aucun progrès rend impraticable l'emploi de tous ces procédés ( ... ), de sorte que ces utiles inventions à l'usage exclusif des grosses exploitations auront pour résultat d'enrichir la richesse et d'appauvrir encore la pauvreté » (E. Bonnemère, ibid.), et l'auteur conclut : « L'association au contraire les emploiera toutes en attendant qu'elle en invente bien d'autres. » Ainsi se précisent les deux fondements de l'idée d'association : le progrès technique, qui économise le travail humain et multiplie les richesses, et la volonté de justice - thème permanent de Proudhon, - qui doit réduire les antagonismes sociaux et maintenir une certaine égalité. En son temps, Fourier évoquait la division du travail manuel pour justifier les progrès économiques rendus possibles par son association. Cinquante ans plus tard, l'élément technique, inconnu de lui, exige la concentration des exploitations, c'est-à-dire l'association, si l'on veut éviter la prolétarisation des campagnes. Mais l'idée d'association étant formulée, nous avons vu à quel point les réformateurs étaient divisés tant sur la nature de la propriété que sur le rôle de l'individu. Lorsque la première Internationale en discuta en son congrès de Bâle ( 1869), les opinions les plus diverses se manifestèrent, et cela d'autant plus aisément qu'elles étaient sans valeur pratique, les travailleurs de la terre n'ayant aucun représentant au congrès et toute initiative législative restant illusoire. Le principe de la propriété collective fut voté à une grande majorité, une minorité de disciples de Proudhon jugeant que le crédit gratuit et le mutuellisme suffiraient à améliorer le sort des paysans. La majorité collectiviste était pour la nationalisation du sol, l'impôt remplaçant la rente foncière. Les exploitations individuelles auraient bénéficié de baux à vie, les associations de production de baux à terme (exposé du rapporteur, le Belge César de Paepe) 17 • L'Internationale ne devait plus guère s'occuper de la question agraire : elle disparaissait pratiquement en 1872. 15. Lors de l'enquête agricole de 1852, on en nvnit dénombré 1.537 pour toute la Fronce ... 16. E. Bonncmère, op. cit, 17. Pour la d IRcus11londes thèses, cf. : La Prem i~re Internationale, Genève 1962, Libr. Droz •

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