62 était jointe une activité manufacturière. Si une telle union de l'agriculture et de l'industrie rappelait l'indivision des communautés anciennes, elle ne représentait pas pour autant l'ultime avatar des sociétés fermées, ne connaissant de l'échange que ce qui était nécessaire pour payer les impôts. Idéalisant le type d'ouvrier-paysan, si répandu encore durant la première moitié du XIXe siècle, elle devait être réalisée en vue de l'échange, voire d'une concurrence que Fourier voulait organiser administrativement, qu'il voulait rendre étrangère à toute spéculation, à tout accaparement 10 • Le commerce libre entre les phalanges agricoles ou industrielles disparaissait dans un système qui, en ce sens, pouvait être considéré comme relevant du type socialiste; mais en même temps il conservait, avec le mécanisme d'association et de rétribution du travail phalangiste, la marque individualiste initiale. Fourier avait eu des prédécesseurs dans la critique du morcellement agricole et l'idée d'association ; il cite lui-même, en France, Cadet de Vaux ( 1802) et en Angleterre le comte de Rumford. Dans sa dénonciation du commerce privé qui, à des époques de pénurie et de circulation difficile, pouvait accaparer les denrées et peser sur les prix, on peut lui en trouver d'autres, qu'il ne cite pas 11 , tel Roland de la Platière expliquant par le morcellement de l'agriculture et sa dissociation d'avec l'industrie la famine des villes et la misère des ouvriers ; tel François-Joseph L'Ange (ou Lange), guillotiné en 1794, qui avait imaginé une association agricole-industrielle univer_selle, vaste coopérative commercialisant et stockant les produits - visionnaire socialiste avant la lettre, en qui Jaurès voyait l'annonciateur de Fourier ou de Proudhon 12 ... Comme ces deux Lyonnais, Fourier -avait ·la nostalgie d'un monde où industrie et agriculture n'étaient pas séparées, le regret de communautés primitives plus ou moins fermées sur elles-mêmes et capables d'assurer l'existence de leurs membres sans recourir à l' « esclavage commercial ». Tout l'art de Fourier et de ses disciples de l'école sociétaire fut de montrer que leur système était compatible avec une grande liberté morale et sociale ainsi qu'avec les aspirations universelles au progrès. Ce qu'il faut en retenir aujourd'hui, c'est l'idée que l'association agricole de production peut rendre inutile l'exploitation de type capitaliste ruinant la petite propriété individuellè. 10. Charles Fourier : Le Nouveau Monde, 1829. 11. Cf. Hubert Bourgin : Fourier, pp. 90 sqq. 12. Jean Jaurès : La Convention, t. I, pp. 328 sqq., in Histoire socialiste (éd. Jules Rouff). Bib-ioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES Une histoire de l'idée d'association au XIX0 siècle déborderait notre sujet. Que les réformateurs socialistes se réclament ou non de Fourier, tous mettent leurs espoirs dans l'avenir de l'association. La formule est vague : elle englobe diverses formes de relations humaines, du simple mutuellisme au communisme intégral ; elle signifie la copropriété de la terre ou sa nationalisation. Mais le terme d'associàtion a une valeur magique : il s'oppose à cet individualisme paysan qu'aggrave à chaque héritage l'obligation de partager la terre, d'où un morcellement tel qu'aucun progrès économique ou technique n'y est désormais possible ; il dénonce comme illusoire cette faim de terre qui pousse l'agriculteur à s'endetter pour acquérir des parcelles destinées à être redistribuées après sa mort. Dans sa Théorie de la propriété, ouvrage posthume, Proudhon évaluait à 300 millions (superficie moyenne : dix ares) le nombre total des parcelles cultivées. Même si ce nombre est exagéré (en 1868, on en recensa 140 millions seulement), il est évident qu'un tel morcellement des petites exploitations dépourvues de capitaux, mises dans l'impossibilité d'avoir recours au matériel nouveau utilisé en Angleterre et en Amérique, laissait la majeure partie des campagnes en marge de la révolution industrielle et qu'il en faisait une proie toute désignée pour la vieille usure des temps féodaux .. La vague de fond individualiste, l'âpreté du désir de posséder expliquent la disparition, à quelques années d'intervalle, des dernières communautés agraires, comme celle des Jault en 1847 et des communaux publics qui avaient survécu aux décrets de la Convention .. L'extension des moyens de transport entre la ville et la campagne mettent celle-ci à la remorque de la nouvelle société industrielle de type capitaliste. Les vieilles communautés éclatent les unes après les autres, succombant à la course à la propriété. Au souvenir des traditions familiales, des collectivités conservatrices, surgissent maints projets d'association où les réformateurs veulent tantôt retrouver une solidarité ancestrale, tantôt, de manière plus utopique, nier cette division du travail qu'ils considèrent comme avilissante et combler l'abîme entre la ville et la campagne. . Ils se heurtent à l'existence de la propriété privée du ~ol, libérée, dèpuis la Révolution, de ses servitudes féodales. La grande propriété capitaliste, de type anglais, est un modèle de rendement économique, mais elle implique l'exploitation d'un prolétariat rural. La petite propriété autorise une liberté relative et. certaine égalité des possédants, mais elle substitue, dans ..
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