M. COLLINET Que cette société poursuive l'intégration de ses éléments, qu'en particuli~r le marché intérieur s'unifie, les ferments individualistes, de plus en plus difficiles à résorber, provoquent la dissolution de la communauté. Commencent alors le règne de l'hypothèque, la dure concurrence pour la propriété du sol, un processus de morcellement dont, cerit ans plus tard, on discerne difficilement l'issue. * * * L'AGRICULTURcEompte parmi· les premiers thèmes de la méditation de Charles Fourier. Le morcellement des exploitations en est la cause, aggravé par le partage égalitaire des successions. Déjà, au XVIIIe siècle, l'agronome Henry Pattullo dénonçait l'extrême morcellement des terres : « Si un héritage est de trente arpents, il faut les aller chercher en trente ou quarante places différentes, quelquefois à une grande distance où ils sont mêlés avec d'autres par morceaux d'un petit nombre d'arpents 7 • » Et l'auteur concluait à la nécessité absolue d'obtenir un remembrement qui eût permis l'instauration de la « grande culture » dont rêvaient les physiocrates. Après lui, François de Neufchâteau s'élevait contre le morcellement et en prévoyait l'extension : « La subdivision portée à l'infini est un des principaux obstacles qui s'opposent en France aux progrès de l'agriculture 8 • » Aurait-il pu penser que, contre tout bon sens, cette subdivision subsisterait, à quelques exceptions près, cent cinquante ans plus tard ? Le remembrement est à l'ordre du jour depuis vingt ans, mais sa lenteur est telle qu'il ne peut guère être théoriquement achevé avant 1980, et encore en supposant que la loi de 1960 sur les aménagements fonciers reçoive des moyens d'exécution suffisants. Dès son premier ouvrage, paru en 1808, la Théorie des quatre mouvements et des destinées générales, lequel précède l'élaboration systématique de ses idées, Fourier aborde le problème de l'association agricole qui, à ses yeux, doit conduire à « la solution de tous les problèmes politiques » et « changer le sort du genre humain ». Il s'agit de rendre l'agriculture « attrayante », d'entraîner au travail les membres de l'association « par émulation, amourpropre et autres véhicules compatibles avec celui de l'intérêt ». Une association entre quelques f amiIles, quelques dizaines de personnes, 7. E11al ,ur ramiltoratlon de, terre,, 1758. 8• Vouagu agronomique, dan, la ainatorerie de Dijon, 1806. Biblioteca Gino Bianco 61 serait insuffisante pour permettre à la fois une division rationnelle du travail, une saine économie des forces et une libre orientation des goûts : Il résulterait des économies et des améliorations incalculables si l'on pouvait réunir en société industrielle les habitants de chaque bourgade, associer en proportion de leur capital et de leur industrie deux à trois cents familles inégales en fortune qui cultivent un canton. La mise en commun des moyens de production permettrait une répartition efficace des tâches : Trois cents familles de villageois n'auraient qu'un seul grenier bien soigné (...), qu'une seule cuverie ( ...) et, surtout en été, que trois ou quatre grands feux au lieu de trois cents ; ils n'enverraient à la ville qu'une seule laitière avec un tonneau de lait porté sur un char suspendu, ce qui épargnerait cent demi-journées perdues par cent laitières qui portent cent brocs de lait. Fourier compte sur l'augmentation considérable des bénéfices (de trois à sept fois) résultant de l'association pour inciter les paysans, toujours méfiants et « âpres au gain », à s'associer volontairement. Ainsi devrait naître en chaque canton une phalange, où la division du travail s'organiserait en « séries progressives ou séries de groupes », accessibles aux enfants les moins instruits. La conception fouriériste n'emprunte rien au communisme agraire. Son association est une copropriété, sa phalange un agrégat de petits propriétaires, mais, par son organisation, devient un propriétaire colossal, chaque participant étant un actionnaire rémunéré pour sa part de capital. Dans les règles du travail sociétaire, les rétributions sont proportionnelles au capital avancé, au travail effectué, au talent exercé, c'est-à-dire à l'un de ces facteurs seul ou à plusieurs d'entre eux 9 avec salaire minimum garanti. L'association avait pour but immédiat, outre un partage équitable, l'acquisition de richesses matérielles, mais aussi d'une certaine richesse morale et de vertus dont la civilisation n'offrait qu'une image ridicule. Fourier en espérait la fin du pénible spectacle offert par la classe paysanne dans sa conquête de lambeaux de terre, toujours divisés après d'éphémères réunions, et soi1 épuisant travail pour se procurer une propriété dépourvue de moyens d 'exp loitation. La phalange sociétaire, devant pourvoir à l'autoconsommation de ses membres, trouvait son activité principale dans l'agriculture, à quoi 9. Charles Fourier: Théorie de l'unité universelle. 1822·
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