Le Contrat Social - anno XII - n. 1 - gen.-mar. 1968

M. COLL/NET de 1835, un père et ses deux fils forment une société avec égalité d'apports ; dans un autre, de 1840, les apports de biens sont inégaux, mais cela est compensé par ce que la loi de 1962 appellera des « apports en industrie » ; parfois, un capital en argent est versé, mais doit être retiré préalablement à tout partage, en cas de dissolution (acte de 1830). En général, le père dirige, mais doit rendre des comptes à ses descend~nts sociétaires (acte de 1842). Si un associé meurt, les survivants versent aux héritiers la part du défunt, sans que la société se trouve dissoute pour autant. Si un associé se retire, ses coassociés lui tiennent également compte de sa part après inventaire ou simple estimation. Après décès du père, son autorité passe à la mère ou au fils aîné. Aux sociétés fondées sans limitation de temps, d'autres succéderont, à la fin du siècle, qui seront réduites à quelques années, mais cette durée pourra être tacitement reconduite. L'épouse d'un fils est employée comme salariée : selon un contrat de 1825, elle reçoit six francs par an. Inversement, l'époux peut aller vivre chez ses beaux-parents aux gages annuels de 18 francs (contrat de 1830). Dans un contrat de 1842, les deux époux reçoivent un salaire de 25 francs par an. Ils sont « entretenus, logés et nourris tant en santé qu'en maladie, ainsi que leurs enfants nés ou à naître », mais ne peuvent prétendre à aucune part personnelle dans la société. Dès lors que les enfants restent des salariés, sans obtenir une part des profits, les conditions sont telles qu'au premier différend ils quittent leurs parents pour se louer à d'autres cultivateurs ou pour prendre à leur compte une métairie disponible. Dans les premières décennies du XIXe siècle, ces associations sont prévues pour une durée illimitée et, nous l'avons vu, la mort d'un associé non célibataire n'en interrompt pas l'existence. Mais plus on avance dans le siècle, plus l'individualisme pénètre le tissu paysan : la mort d'un associé dissout la société, ses membres achètent pour eux-mêmes des terres voisines en attendant qu'elle disparaisse. Ainsi la concurrence augmente d'âpreté à l'intérieur même de l'association ; ainsi se répète au siècle dernier, pour l'association, ce qui était arrivé au XIIe siècle à la communauté taisible : sa transformation en hameau peuplé d'étrangers, sinon d'adversaires. A une échelle différente, la cause est la même : ici et là, il s'agit d'une relative ouverture vers le monde extérieur. Au x1f siècle, c'étaient les nouvelles terres, les villes neuves, le commerce interprovincial, la poussée démographique ; au XI~, l'avènement de la Biblioteca Gino Bianco 59 société industrielle, avec de~ moyens de communication rapides et réguliers, et de plus l'extension des marchés. A une époque comme à l'autre, c'est l'amélioration des échanges, la multiplication du numéraire ou de ce qui en tient lieu qui, de l'extérieur, modifient les relations intérieures à l'économie agricole. Il s'agit d'une intégration, intégration à vrai dire fort modeste, dans la société ou urbaine ou industrielle de l'époque qui, ici et là, a pour résultat un relâchement des liens familiaux - au sens large du terme - au profit des liens contractuels. Au siècle dernier, la révolution industrielle agit de deux manières sur les classes agricoles : d'abord par l'exode vers les villes, puis par la liquidation de l'industrie rurale, tant celle qui travaillait pour le marché urbain que celle qui, à l'intérieur des exploitations, subvenait à l'existence des familles. La commercialisation des produits de la terre devient une nécessité lorsqu'il s'agit de payer le charron du village et le marchand de la ville. Néanmoins, cette extension des échanges, freinée par les servitudes foncières et l'absence de capitaux, retarde le progrès technique qui eût compensé la perte de bras. L'individualisme triomphe par le moyen d'une autoexploitation qui ne connaît guère de limites. * ,,,.,,,. L'INDIVIDUALISME, c'est le rocher de Sisyphe du paysan en quête d'une terre à cultiver au prix d'un travail acharné, ce paysan que Balzac - qui ne l'aime pas - décrit comme « un infatigable sapeur, ce rongeur qui morcelle et divise le sol, convié à ce festin par une petite bourgeoisie qui fait de lui tout à la fois son auxiliaire et sa proie ( ...), cet élément insocial, créé par la Révolution ... » (Les Paysans). Les quelques communautés subsistant encore sont les séquelles d'un monde disparu, un objet de curiosité pour les historiens ou les hommes politiques. Ainsi André-Marie Dupin, dit Dupin aîné, procureur général à la Cour de cassation, relate une visite faite en 1840 à la communauté agricole des Jault, commune de Saint-Bénin-des-Bois, dans son département natal, la Nièvre 4 • Fondée au plus tard au XVIe siècle, libérée de toute charge roturière, elle était restée dans la même famille. De tradition patriarcale, avec transmission du pouvoir en ligne directe au 4. Texte dans l"ouvragc de Victor Consldcrant : Le Socialisme devant le vieux monde ou les vivants devant lrs mort!, 1848.

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