Le Contrat Social - anno XII - n. 1 - gen.-mar. 1968

58 ·vilesétant généralement plus petits et subissant des charges plus lourdes que les autres 1 • Au XIIe siècle, l'émancipation des serfs, la décroissance des corvées, consécutives à l'expansion démographique et économique de la société rurale, amènent la décadence du manse en tant qu'unité fiscale. Il éclate en ménages distincts formant des hameaux, ou bien subsiste sous forme de communautés libres. Celles-ci, vivant sans convention écrite, étaient des communautés taisibles : « Les associés prenaient le nom de parsonniers, du vieux mot français partçon. On vivait, on mangeait ensemble au même chanteau 2 • » Suivant les coutumes provinciales, le lignage entre parsonniers était ou non obligatoire. D'un commun accord, l'indidivision était la règle générale. D'autres exploitations constituaient simplement des associations de biens et de travail, avec évaluation des parts en cas de dissolution. Mais celle-ci fut longtemps redoutée, car elle multipliait l'insécurité physique ou économique ainsi que la pression fiscale sur les ménages dissociés. Communautés ou ~ssociations avaient surtout pour fonction d'assurer la subsistance de leurs membres, et à ·cette :6n elles pratiquaient une division du travail rationnelle entre ces derniers sur les parcelles exploitées. La polyculture était nécessaire, les jachères obligatoires ainsi que le libre parcours des bestiaux appartenant à diverses exploitations. Le travail était réparti suivant les aptitudes et les âges. Le jurisconsulte Guy Coquille le décrit ainsi dans ses Coutumes du pays et du duché de Nivernais (1590), ce Nivernais qui est un pays aux « cultures malaisées » : Les uns servent pour labourer et pour toucher les bœufs, animaux tardifs, et communément font que les charrettes soient tirées de six bœufs ; les autres pour mener les brebis et. les moutons, les autres pour conduire les porcs. Ces familles ainsi composées de plusieurs personnes qui toutes sont employées selon leur âge, sexe et moyens sont régies par un seul,· qui se nomme maître de communauté, élu à cette charge par les autres, lequel commande à tous les autres. Le maître se charge des ventes, achats et impôts. « Ces communautés sont vraies familles et collèges (...), comme un corps composé de plusieurs membres » (ibid.). · A la fin du Moyen Age, les ·métayers du Bourbonnais vivaient en groupes, familiaux ou non, ~e vingt à trente personnes cultivant généralement une. terre noble de 120 à î50 bec1. Marc Bloch: Caractères originaux de l'histoire rura.le française, t. I et II. · 2. Eugène Bonnemère : Histoire des paysans depuis la fin du Moyen Age jusqu'à nos jours, Paris 1856, t. II. -Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES tares 3 • Mais ces communautés tacites ou taisibles entre parents ou étrangers furent supprimées en 1566. Interdiction théorique, qui dut être renou~elée en 16 7 3, cette fois officiellement ; elles furent alors remplacées par des associations contractuelles, lesquelles furent, en principe, réglementées dans tous leurs détails par la Coutume du Bourbonnais. N'eurent droit de subsister que les communautés taisibles strie- .~ tement familiales, où le père exerçait un pouvoir absolu sur ses enfants et ses proches. Ce qui était interdit, c'était en fait l'organisation collégiale spontanée des anciens groupements où subsistait parfois, hors de toute juridiction, un principe électif. En outre, en les maintenant sous l'autorité patriarcale, la législation visait à décourager l'exode des jeunes vers la ville. Visitant le Bourbonnais en août 1789, Arthur Young note le double caractère, à la fois industriel et agricole, des exploitations : chaque métairie possède un terrain semé de chènevis et naturellement son troupeau de moutons. Les femmes filent, les hommes tissent la toile et la laine. Sabots, meubles, nombre d'instruments aratoires sont fabriqués à domicile. Après le partage en nature avec le fermier ou le propriétaire, il ne reste au métayer que peu de choses à vendre. L'argent est rare ; le troc avec l'artisanat local, très fréquent ; le journalier est payé en nature. Une faible partie du produit est commercialisée, et l'argent gagné absorbé p~r les impôts et les droits féodaux. C'est par manque de numéraire que la plupart des métayers ne pourront payer les 40 % exigés comptant lors des ventes de biens nationaux : ils ne feront alors que changer ·de maîtres. Seuls l'abolition des anciens impôts, l'inflation et les besoins énormes de la République feront augmenter les ventes. Tandis que la conscription arrache des bras à la terre, la communauté familiale fermée devient anachronique; ,elle se survit dans un monde en pleine évolution. - A partir de 1820, ces communautés se dissolvent. Quelques-unes se maintiendront jusqu'après 1850 dans des régions déshéritées. Aux relations taisibles succèdent, même entre proches parents, des rapports sous forme de contrats déposés chez le notaire. Les communautés laissent la place à des « sociétés de travail et 'd'industrie » qui cop.signent par écrit les apports de biens et la répartition des bénéfices. L'ouvrage déjà cité de Camille Gagnon en donn~ de nombreux exemples : dans un acte 3. Camille Gagnon: Histoire du métayage en Bourbonnais depuis 1789, Paris 1920.

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