32· · Au moment où Berzine prenait congé,· Kolomatiano entra précipitamment et annonça ? « Il y a une demi-heure, Dora Kaplan, une socialiste-révolutionnaire, a tiré sur Lénine. Malheureusement, celui-ci n'est que blessé. » Les nerfs du provocateur flanchèrent, la joie de Kolomatiano le fit exploser. Il se jeta sur l'agent américain : « C'est vous, c'est vous ! C'est votre travail, canailles ! Vous avez osé..-. » Mais aussitôt, comprenant qu'il était en train de se trahir, il se reprit : · - Excusez-moi, messieurs : je viens de m'emporter. C'est que, voyez-vous; ces coups de feu remettent en question l'opération projetée. La Tchéka va redoubler de vigilance, c'est certain, et la protection des dirigeants sera renforcée. Les procédés de certains de nos soi-disant alliés ont de quoi exaspérer. Tandis que nous élaborons, parmi les pires difficultés, les moindres détails de notre plan, des terroristes insensés, sans accord préalable, sans même nous prévenir, commettent un attentat dont les conséquences vont être extrêmement sérieuses... - Que proposez-vous ? demanda Lockhart. - Je n'ai rien à proposer. Avant tout, étudions la situation. - Non, s'écria De Witt Poole, il faut immédiatement faire descendre vos tirailleurs dans la rue et livrer bataille. - Ce sera une boucherie, non un combat. Nos unités d'élite seront sacrifiées sans aucun résultat. Lockhart mit fin à l'incident : - i.\1essieurs, nous n'allons pas nous disputer. Le colonel a parfaitement raison. La garnison de Moscou va être renforcée sans délai. Séparons-nous, puis examinons trànquillement la situation {pp. 219-22). * * * LE MÊME JOUR, un autre socialiste-révolutionnaire, l'étudiant Kanigisser, avait abattu Ouritski, chef de la Tchéka de Pétrograd. La répression fut terrible : A la terreur blanche, la classe ouvrière répondit par la terreur rouge (...), par l'organisation d'une terreur de masse ouverte, systématique, contre la bourgeoisie et ses agents 11 • Il n'était plus question, pour la Tchéka, de raffiner sur la préparation du « complot des ambassadeurs » ni de préparer, avec les Lettons en guise-.:.d'appât, un guet-apens aux troupes alliées· d'Arkhangelsk. A peine arrivé à Pétrograd, Reilly avait appris l'assassinat d'Ouritski et, vers la fin de l'après-midi, l'attentat contre Lénine. Pour se mettre à l'abri, il se précipita à l'ambassade de Grande-Bretagne. L'immeuble était déjà entouré par un cordon de troupe, la porte 17. G.E.S., tre édition, t. 36, col. 374. Bibli.otecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL d'entrée enfoncée, les vitres brisées. Surpris, Reilly présenta à un jeune factionnaire sa carte au nom de Rélinski, agent de la Sûreté criminelle. S'approchant un peu, il vit le cadavre du capitaine Cromie étendu sur les marches avec, à ses pieds, le corps de son agent Arkachka Sang bleu. - Qu'est-il arrivé? demanda-t-il au soldat rouge. - Nous leur avons proposé de se rendre, mais ils ont ouvert le feu. On a dû donner l'assaut. Ils ont abattu plusieurs des nôtres. Le salaud, là, sur les marches, tirait,· un revolver dans chaque main. Dans l'immeuble, on a pris une quarantaine d'officiers tsaristes et un plein camion d'armes et de grenades... Il ne restait qu'à fuir. Les journaux annonçaient déjà que la Tchéka recherchait Sidney Reilly, alias Massina, alias Constantin, alias Rélinski (...). Le même soir, Reilly réussit à se glisser dans un train pour Moscou, sauta à contre-voie avant d'arriver dans la capitale et disparut {pp. 222-24). Quant à Lockhart, son cas fut examiné par Dzerjinski en personne. Peters chargea Malkov, commandant d'armes à Moscou, de procéder à son arrestation dans la nuit du 31 août au l.er septembre. Le caractère de Lockhart rendant improbable toute résistance de sa part, Malkov, qui devait aussi se livrer à une perquisition en règle dans l'appartement, ne prit avec lui que deux hommes. Introduit par Hiks, adjoint de Lockhart, dans la chambre ~ coucher où ce dernier dormait du sommeil du juste, Malkov le réveilla et lui présenta avec courtoisie le mandat d'amener signé par Dzerjinski. Sans protester, le chef de la mission britannique s'habilla, puis assista tranquillement à la perquisition et à la saisie de ses papiers, de son pistolet chargé et d'une somme de 360.000 roubles. (Il est à noter que 11 relation de cette scène, telle qu'elle figure dans les Mémoires de Lockhart, est très différente.) C'est en vain que la Tchéka s'affairait, dans le même temps, pour retrouver Reilly, Vettamon et Kolomatiano. Pourtant, dans l'appartement de Vertamon on fit main basse sur des détonateurs, des fonds importants et, di~simulés dans des coussins de fauteuils, un chiffre, des cartes d'état-major et autres pièces ayant valeur de preuves. Conduit dans les locaux de la police, Lockhart gardait tout son calme. Il se savait protégé par l'immunité diplomatique ; il avait confiance en Reilly et le colonel Berzine était un homme sûr qui, d'ailleurs, avait intérêt à se taire ; les autres diplomates, de leur côté, ne broncheraient pas ; enfin il n'y avait rien de compromettant dans les papiers saisis. . · · Peters qui, en qualité de réfugié politique, avait vécu longtemps à Londres et parlait ~l?-
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