Le Contrat Social - anno XII - n. 1 - gen.-mar. 1968

E. DEL/MARS Berzine protesta : - Vous voulez me soudoyer ? En ce cas, nous c:n resterons là. -. Loin de moi cette pensée, répondit Reilly. Simplement, il vous est impossible d'agir sans argent. Et cela, non pas à vous personnellement, mais è votre organisation. Berzine réfléchissait : pourquoi ne pas leur arracher une forte somme et la mettre à la disposition <les bolchéviks ? - Permettez-moi d'étudier votre proposition. Je vais consulter mes camarades. Reilly conclut : - C'est normal. Je vois que nous pourrons nous entendre. Dans deux jours, à quatre heures de l'aprèsmidi, je vous attendrai à l'adresse suivante : Khliebny Péréoulok, n° 19, appartement 24, téléphone 28-83. Demandez M. Constantin .. Plus tard, Reilly avoua dans ses souvenirs que cet entretien lui avait produit une impression pénil:-Je : « Il me semblait tout le temps que je parlais à un tchékiste. Ni son aspect, ni ~on comportement, ni son langage n'étaient ceux d'un transfuge ordinaire. Quel dommage que je n'aie pas persévéré dans cette première impression ! » (Pp. 168-73.) Cette impression, néanmoins, amena Reilly à se poser des questions quant à la sincérité de B,erzine ~ « Si ce Letton· est un tchékiste, il· est tenu de rapporter notre entretien à ses chefs et il recevra de nouvelles instructions. Surveillons-le de près. » · Mais la filature établie par les agents de Reilly ne donna rien. Berzine passa les trentesix heu·res suivantes à enseigner aux ouvrier5, dans les environs de Moscou, l'art de tirer au canon, et à dormir tranquillement dans sa petite chamb.te. Il ne rencontra aucun tchékiste ni même aucun de ses supérieurs militaires. Alors Reilly employa les grands moyens : Le lendemain de sa rencontre avec !'Irlandais, Berzine fut abotdé dans la soirée, rue Miasnitskaïa, par trois tchékistes en uniforme. Le chef de patrouille lui demanda en letton de leur prêter main-forte : C'n venait d'arrêter un suspect qui prétendait être à la tête d'une compagnie de tirailleurs lettons. « Vous pouvez nous aider à démasquer cet homme. On le soupçonne d'être un espion et non un officier rouge. » Tout d'abord, Berzine crut avoir affaire à de vrais tchékistes et les suivit sans difficulté. Mais quand il se retrouva dans une maison en ruines, près de la porte Srétenskaïa, il comprit qu'il était entre les mains des hommes de Reilly. « Ils me ligotèrent et me rouèrent de coups de poing, de coups de pied. Ils me frappèrent à l'aide de tuyaux de caoutchouc remplis de sable, me. demandant pour quelle somme j'avais vendu le pouvoir soviétique aux requins impérialistes. Je leur opposai des dénégations obstinées. Au petit matin, je perdis connaissance. Quand je repris mes sens, j'étais débarrassé de mes liens et seul dans la pièce. Sur la table, un téléphone de campagne. Ces canailles l'avaient installé là afin que je me trahisse en téléphonant à la Tchéka. C'est à peine si je parvins à appeler Û>nstantin, au 28-83. Mal réveillé, Reilly ne me comprenait Biblioteca Gino Bianco 29 pas. J'articulai à plusieurs reprises : Nous sonunes trahis. Sauvez tout ce que vous pouvez. Je suis pris, mais je tiendrai. » Le matin, les autres revinrent et, sans un seul mot, passèrent de nouveau Berzine à tabàc. Puis ils lui mirent un bandeau sur les yeux et le jetèrent dans une voiture ; après un long parcours, ils l'abandonnèrent au coin d'une rue déserte. Quelques heures plus tard, Berzine fut recueilli ·par une authentique patrouille de la milice et transporté à l'hôpital de Basmannaïa. Bien soigné, il mit soixante-douze heures à se remettre. Aux médecins, il raconta qu'au cours d'une rixe avec plusieurs voyous, ·au sujet d'une femme, il en avait abattu trois. On le regarda comme un criminel dangereux. Le deuxième jour, une infirmière lui remit un billet : « Bravo. Nous avons confiance en vous. Constantin. » Au début de sa convalescence, un fourgon cellulaire vint le prendre, à la vue de tous les malades, pour le conduire, disait-on, en prison. A l'intérieur du fourgon, Peters. Celui-ci allait jubiler en écoutant le récit de son aventure : « Merveilleux ! Après ton c_oupde téléphone, pour toujours, ils vont avoir confiance en toi » (pp. 168-77). * * * EN VUE de soudoyer les officiers lettons et leurs hommes, Reilly remit 700.000 roubles à son nouveau collaborateur. Il s'e:xcusa de n'avoir pu encore atteindre le million : ses agents obtenaient chez les richards russes des roubles contre des chèques sur la Banque d'Angleterre, mais ce genre de collecte prenait du temps. Par la suite, Reilly fit à Berzine une nouvelle remise de 200.000 roubles ; de son côté, Lockhart lui en versà 300.000. Le toue parvint fidèlement aux caisses_de la Tchéka. Lockhart réunit une conférence dans le salon de la mission britannique. Etaient présents De Witt Poole, consul général des Etats-Unis., le Français , Grenard, plus cinq ou six autres diplomates accrédités auprès du gouvernement soviétique (Lockhart comptait sur ces derniers pour une participation aux frais de l'entreprise). Il y avait aussi les spécialistes des renseignements et de l'action clandestine. Derrière l'Américain s'était assis Kolomatiano, un Grec né en Russie, détenteur d'un passeport russe au nom de Serpovski. Expérimenté et astucieux, c'était l'homme de confiance de De \Xlitt Poole. Grenard avait avec lui Vertamon, son officier de renseignements, fameux parmi les spécialistes étrangers pour son audace et sor, savoir-faire. L'intelligence Service était représenté par Reilly et son adjoint Robert Hill. Lockhart ouvrit la séance et, à en croire le roman soviétique, prononça un discours... de réunion publique : « ~lessieurs, nous sommes réunis ici pour déclarer une fois de plus, en notre propre nom, au nom de

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