14 les motifs et les intentions qui ont pu le guider dans ce choix. On trouvera aux pages 66-81 un exemple privilégié de cette façon de procéder, à propos de la paix de Brest-Litovsk, parce que dans ce cas les trois solutions possibles ont été effectivement défendues au Comité central bolchévik. J. Laloy annonce : « Cherchons à distinguer les racines prof ondes de ces choix dont l'effet se sent encore aujourd'hui », et il pèse, en usant des textes en sa possession, les raisons et la valeur des propositions de Boukharine, de Trotski et de Lénine. Il conclut que si celui-ci s'est décidé pour accepter les conditions allemandes et signer la paix « honteuse », c'est pour donner à la révolution russe le temps d'attendre que la révolution socialiste se déclare dans le monde entier. A-t-il raisonné juste ? J. Laloy évite de poser la question, sans doute parce qu'elle est ambiguë : le répit a été obtenu et la révolution russe a pu vivre, mais ce n'est pas par.ce que la révolution mondiale· a éclaté. Notre auteur le constate, et ajoute : « ~a révolution de Lénine est sauvée ... par la victoire du maréchal Foch. » Jusqu'ici son raisonnement est inattaquable. Mais sa volonté de compréhension totale des événements et de Lénine l'oblige à s'interroger sur deux hypothèses : 1. La paix de Brest étant signée, que serait-il arrivé en cas de victoire allemande à l'Ouest ? - La révolution russe avait peut-être un répit temporaire, mais elle se coupait moralement du mouvement ouvrier européen et la révolution mondiale était mise en échec. Donc dans ce cas Boukharine, qui pour cela refusait la paix, avait (ou : aurait eu) raison ; 2. La paix n'étant pas signée, que se serait-il passé ? - « Après quelques semaines d'incertitude, l'Allemagne aurait dû engager à l'Ouest la bataille décisive. La ·guerre aurait imposé en Russie un .certain regroupement, au moins des partis socialistes ( ... ). La Russie se serait retrouvée plus ou moins avec les vainqueurs. Elle aurait exercé sur les affaires internationales et sur le mouvement ouvrier une influence notable. La venue au pouvoir de gouvernements socialistes en Europe aurait peut-être été facilitée. Mais le parti bolchévik n'aurait pas eu le monopole. Il n'aurait pas pu se retrancher sur sa différence essentielle. Dès l'origine, le choix était le suivant : influence partielle sur tout le mouvement socialiste ou influence totale sur une partie de ce mouvement. » Cette dernière phrase amène la conclusion : ·« Ce que Lénine défendait ( ...), ce n'est pas . BibliotecaGino Bianco I LE CONTRAT SOCIAL la Russie, ni même le socialisme, mais le parti bolchévik. Ce que, consciemment ou non, défendaient ses adversaires, c'était le mouvement socialiste, la solidarité avec les partis étrangers. Ces deux concepti9ns sont difficiles à concilier. La première conduit au monopole et au monolithe, la seconde à la diversité et à la concurrence ... Au moment de Brest, Lénine a choisi la première... » Que Lénine ait voulu sauver avant tout son parti, c'est probablement vrai, mais cette vérité a le tort de découler ici d'une cascade d'hypothèses. Quant au monopole et au monolithe, Lénine avait choisi cette voie dès 1902, en écrivant Que faire ? Au moment de Brest, il n'a fait que confirmer ce choix ou peut-être le rendre irrévocable. Plus évident apparaît ce même choix dans la deuxième partie de l'ouvrage, quand il s'agit de la politique intérieure. L'Etat socialiste, incarnation du parti bolchévik, ne fait « · aucune place ( ... ) à la liberté ( ... ), à l'épanouissement des personnes, des groupes et des institutions », ni à la concurrence entre plusieurs conceptions du socialisme. « Il y avait une grande quantité de gens en Russie disposés en faveur du socialisme, mais reculant devant la dictature. et l'aventure (... ) jusque dans le parti bolchévik. Au lieu de les soumettre par la contrainte, on aurait pu s'accorder avec eux. Jamais cette idée n'a été celle de Lénine. » Même en 1920-1921, qua·nd l'échec au moins économique est patent, qu'il doit ouvrir dans le ·parti monolithique la soupape d'une discussion publique sur la voie à suivre, que les marins de Cronstadt, « joyau et fierté de la révolution », se révoltent contre le monopole du Parti et qu'il est acculé encore une fois à un choix gros de · conséquences, Lénine décrète la nep, c'est-à-dire une courte liberté économique, mais en politique il ne s'en tient que plus fermement - je dirais volontiers : plus désespérément - à la voix étroite : autorité ·absolue du Parti et dans le Parti suppression des den1ières traces de flottement (« Nous n'avons pas besoin d'opposition, camarades ! » ), répression impitoyable à Cronstadt et ailleurs. Plus le danger de reconstitution d'un capitalisme créé par la nep était grand, et plus, pensait et déclarait Lénine, il importait de maintenir et renforcer la dictature du Parti. Notre abteur croit pouvoir ajouter; au· nom de Lénine : « Et grâce à elle, après la nep, nous reprendrons notre marèhe vers le socialisme. » Il avait cependant annoncé cette « nouvelle politique économique » « pour de bon et pour longtemps ». On n'est certainement pas obligé d'ajouter foi à une promesse destinée
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