268 lait un désir de paix· à tout prix, non de communisme au prix d'une guerre civile. Et cinq ·ans plus tard, au XIe Congrès du Parti, alors que le régime soviétique s'était définitivement affermi, Lénine avouera sans fard : « Les communistes sont une goutte dans l'Océan, une goutte dans l'océan populaire. Ils ne sauront conduire le peuple dans leur voie qu'à la condition de la tracer d'une façon juste ... » Le Comité central hésitait toujours à se rendre aux objurgations de Lénine, qui s'impatiente et lui adresse, le 14 octobre, une lettre pressante : « Tout atermoiement devient positivement un_ crime ( ... ). En Allemagne, il est évident que la révolution est en marche ( ...). Avec les socialistes-révolutionnaires de gauche, nous avons incontestablement la majorité dans le pays ( ... ). Dans ces conditions, attendre est un crime. Les bolchéviks n'ont pas le droit d'attendre le Congrès des Soviets, ils doivent prendre le pouvoir sur-le-champ. Ce faisant, ils sauvent la révolution mondiale ( ...). Attendre est un crime envers la ·révolution. » En même temps Lénine rédige des Thèses qui rééditent ses formules, car « malheureusement, dans les instances les plus élevées du Parti, on constate des hésitations, une sorte de crainte devant la lutte pour le pouvoir », etc. Il exige que le Congrès des Soviets, dont la réunion est proche, soit mis devant un fait accompli : « l'insurrection victorieuse ». Une nouvelle lettre, celle-ci du 20 octobre, répète ce que Lénine a dit tant de fois, accuse encore Kérenski de comploter pour livrer Pétrograd aux Allemands et de vouloir transférer à Moscou le siège du gouvernement. Elle préconise une « insurrection rapide et générale ». Le lendemain, toujours·· de sa cachette, Lénine envoie ses Conseils d'un absent qui identifient le « pouvoir révolutionnaire prolétarien » au parti bolchévik, précisent que cela implique une « insurrection armée », rappellent que l'insurrection est un « art », énoncent cinq règles d'action militaire stratégique et tactique pour garantir la réussite de l'offensive. Conclusion : « Le succès de la révolution russe et de la révolution mondiale' dépend de deux ou trois jours de lutte. » Coup sur coup, Lénine envoie une autre lettre à ses collègues du Comité central pour les stimuler : « L'heure est telle que temporiser, c'est aller à une mort certaine (...). La montée de la révolution mondiale est incontestable ( ...). Nous serons véritablement traîtres à l'Internationale s1, en un tel moment, ( ...) BibliotecaGino Bianco-=-- LE CONTRAT SOCIAL nous répondons à l'appel des révolutionnaires allemands seulement par des résolutions. » Pour la n-ièm~ fois, Lénine répète que Kérenski veut livrer Pétrograd aux Allemands et installer le Goùvernement provisoire à Moscou, donc que l'insurrection est urgente : « La temporis_ation, c'est la mort. » Le 23 octobre, au Comité central, Lénine (sorti de sa .cachette) « constate que depuis le début de septembre, il se manifeste une_ certaine indifférence à l'égard de l'insurrection ». Il ne conteste pas « l'absentéisme et l'apathie des masses », ce qui peut « s'expliquer par le fait que les masses en ont assez des paroles » .. . Or, « la majorité est aujourd'hui avec nous ( ...). Les conditions politiques sont donc réalisées. Il faut examiner l'aspect technique de la question ( ...). Attendre jusqu'à l'Assemblée constituante qui, chose évidente, ne sera pas pour nous, est inconcevable ... » La résolution votée donne satisfaction à Lénine dont elle reprend tous les arguments trop connus, notamment la « croissance de la révolution socialiste mondiale dans toute l'Europe », et tout cela « met l'insurrection armée à l'ordre du jour ». Mais deux voix, celles de Zinoviev et de Kamenev, se sont élevées « contre », et il y a eu quatre abstentions (le Comité central n'était pas au complet). Les opposants ont fait état de l'inertie des « masses », de la faiblesse numérique du Parti ; ils doutent du noir .dessein prêté à Kérenski comme des perspectives de révolution « mondiale », et ils ne tiennent pas la future Constituante pour quantité négligeable. Lénine répond aux opposants et aux pessimistes, à la séance suivante du Comité central : « Il est impossible de déterminer notre attitude d'après l'état d'esprit des masses, car il est changeant et imprévisible. » Il estime proprio motu que les masses « ont donné leur confiance aux bolchéviks et exigent d'eux non pas des paroles, mais des actes... ». Contre les objections qui se réfèrent à l' armée, Lénine déclare « qu'il ne s'agit pas. de combattre la troupe, mais d'une lutte entre une partie des troupes et l'autre », donc une affaire militaire. En effet, le Gouvernement provisoire ayant voulu envoyer au front les troupes désœuvrées, démoralisées, indisciplinées, encasernées à Pétrograd, · il ne put s'en faire obéir, alors qu' el1es déféraient volontiers aux ordres démagogiques du Soviet. En outre, le Rarti avait organisé à son profit des détachements de jeunes ouvriers armés en « gardes rouges ». Kérenski ne ~uvait compter sur personne et,
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