B. SOUVARINE mais à une certaine minorité agissante encadrée par ses partisans, les « révolutionnaires professionnels », et qui, à bref délai, va faire ses preuves, démontrant à sa façon que les Soviets cessent d'être « décomposés et putréfiés » dès l'instant où une fraction de bolchéviks s'en emparent. Pour convaincre son. Comité central qui ne partage nullement ses vues, Lénine lui envoie une autre lettre à la même date, fin septembre, sur « le marxisme et l'insurrection ». Il y répète que l'insurrection est un « art », que la situation favorise les bolchéviks qui ont la majorité de « l'avant-garde du peuple, capable d'entraîner les masses ». Si nous n'obtenons ni paix ni armistice, poursuit-il, « c'est nous qui serons à la tête des partis de la guerre, qui serons le parti de la guerre par excellence ». Enfin, « il y a 99 chances sur 100 pour que les Allemands nous accordent au moins un armistice. Et obtenir un armistice aujourd'hui, c'est vaincre le monde entier » ( toutes les italiques, celles qui précèdent et celles qui suivent, sont de Lénine). Un article de Lénine sur La révolution russe et la guerre civile, du 29 septembre, reconnaît « l'absence de toute statistique sur les fluctuations des effectifs du Parti, sur la fréquentation des réunions », etc., mais fait état des « collectes d'argent » pour en induire l'importance croissante du Parti. « Si la révolution nous a donné une leçon absolument indiscutable », écrit Lénine, c'est que « seule l'alliance des bolchéviks avec les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks, seule la transmission immédiate de tout le pouvoir aux Soviets rendrait la guerre civile impossible en Russie ( ...). Le développement pacifique de la révolution est possible et vraisemblable si tout le pouvoir est transmis aux Soviets. Au sein des Soviets, la lutte des partis pour le pouvoir peut se dérouler pacifiquement si la démocratie des Soviets est totale... » Lénine compte sur « une immense réserve, les armées des ouvriers plus avancés des autres pays ». Il estime « qu'une proposition de paix juste faite par le prolétariat russe vainqueur dans une guerre civile aurait 99 ,chances sur 100 d'aboutir à un armistice et à la paix, sans verser de nouvelles mers de sang », d'où s'ensuivra le « triomphe de la révolution en Occident ». Un autre article, le 7 octobre, intitulé Les champions de la fraude, explicite le concept de Lénine en matière de majorité et de minorité : « Dix soldats ou dix ouvriers convaincus d'une usine arriérée valent mille fois plus qu'une Biblioteca Gino Bianco 267 centaine de délégués ramassés par les Liber-Dan [c'est-à-dire les socialistes] dans différentes délégations. » L'article suivant, paru les 9 et 10 octobre, sur les Tâches de la révolution, formule le droit de « toute nationalité, sans une seule exception ( ...) de décider elle-même » de son sort et d'obtenir « la liberté entière, y compris la liberté de se séparer ». Une fois de plus, Lénine affirme que les Soviets, maîtres du pouvoir, « pourraient à présent encore - et c'est probablement leur dernière chance - assurer le développement pacifique de la révolution, l'élection pacifique des députés du peuple, la lutte pacifique des partis au sein des Soviets, la mise à l'épreuve des programmes des différents partis par la pratique, le passage pacifique du pouvoir d'un parti à un autre ». Insistant pour que le Parti mette l'insurrection à l'ordre du jour, Lénine écrit le 10 octobre dans une lettre à Smilga : « L'histoire a fait aujourd'hui de la question militaire la question politique essentielle. » Puis, le 13 octobre, jugeant que La crise est mûre ( titre d'un article) il signale « les symptômes d'une veille de révolution à l'échelle mondiale » ; il cite le témoignage d'un officier du front d'après lequel « les soldats ne se battront plus » ; il réitère tous ses arguments précédents et, en raison des réticences de ses compagnons les plus proches, il termine en écrivant : « Je dois présenter ma demande de démission de membre du Comité central », considérant qu'attendre plus longtemps serait « la perte de la révolution ». Ainsi Lénine a recours au moyen de pression ultime, sa démission, pour décider le Comité central à entreprendre l'action directe. * * * LES BOLCHÉVIKS GARDERONT-ILS LE POUVOIR ? Lénine répond à cette question, qui sert de titre, dans une brochure devenue célèbre. Il y compare les Soviets à la Commune de Paris, un de ses thèmes favoris, pour en tirer argument dans le sens de la prise immédiate du pouvoir (encore que les Soviets soient « décomposés et putréfiés », et bien que la Commune patisienne n'ait guère de commun avec les Soviets). Il y énonce sa thèse doublement spécieuse selon laquelle les 240.000 membres de son parti pourront « diriger la Russie », puisque 130.000 propriétaires fonciers la dirigeaient jusqu'alors. Pourtant il avait reconnu « l'absence de toute statistique » sur les effectifs du Parti et il ne pouvait ignorer que l'afflux, indéniable, des nouveaux adhérents révé- ,
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