Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

LE CONTRAT SOCIAL 329 Lucien CANCOUËT Le 31 août 1967, notre ami Lucien Cancouët, directeur de notre publication, est mort brusquement à Nice où il était en vacances. Ce Breton de nom et d'origine était né en 1894 à Malakoff (Seine), et c'est en Normandie qu'il passa les premières années de son enfance : là, comme à Paris où il revint dans sa huitième année, il connut tout jeune une vie laborieuse, gardant les vaches, glanant, ramassant les pommes, puis, à Paris, portant le lait chez les clients de sa marâtre, de cinq heures à huit heures du matin, avant d'aller à l'école. Le certificat d'études primaires sitôt obtenu, il devint apprenti boucher. En 1910, à seize ans, il prend sa première carte syndicale, et l'action qu'il mène lui cause les pires épreuves. Pendant quatre ans, jusqu'à la mobilisation, il vivra de métiers de raccroc. La guerre lui valut une rencontre qui décida de sa vie : appelé au Y régiment d'artillerie lourde à Joigny (Yonne), il y fit connaissance. d'un engagé volontaire de quarante-six ans, le professeur Emile Chartier, que les lettres allaient rendre célèbre soùs le nom d'Alain. Les deux hommes se lièrent d'une amitié qui ne finit qu'avec eux. Les lecteurs de la revue d'Alain, les Libres Propos, y trouvaient cette signature : « le Cheminot syndiqué » : c'était celle de Lucien Cancouët qui, après la mort du philosophe, fut le trésorier de l'Association des amis d'Alain jusque dans les derniers mois de sa vie. Alain lui avait donné à lire la République de Platon. Cancouët rendit le livre en disant : « J'en suis tout changé. » Changé, Cancouët le fut sans doute moins qu'il ne le pensait : en réalité il fut révélé à lui-même, et la leçon qu'il reçut d'Alain reprenait en l'amplifiant et en le consolidant l'enseignement qu'il avait recueilli dans certains milieux syndicaux, où l'on pratiquait et professait ce qu'Albert Thierry, pédagogue modeste et influent dans son milieu, appelait « le refus de parvenu ». Lucien Cancouët ne chercha jamais à faire une carrière personnelle ni à être un dirigeant, - seulement à tenir la place où il se sentait lui-même et à y servir. Entré aux Chemins de fer de l'Etat en 1920, il reconstitua le syndicat des cheminots de Paris-Etat rive gauche, brisé par la scission syndicale. Huit ans après, ce syndicat comptait neuf cents membres (il en aura deux mil1e cinq cents en 1936) et il avait enlevé à la C.G.T.U. la quasi-totalité de la représentation du personnel. En 1932, Cancouët était entré au secrétariat de la Fédération syndicale, oü il s'était vu confier la gérance de la Tribune des cheminots, fonctions qu'il occupa jusqu'en 1944. Jusqu'en 1944 aussi, il fut l'un des administrateurs ouvriers de la Caisse de prévoyance des cheminots, dont il avait obtenu la création malgré l'opposition des communistes. Ceux-ci ne lui pardonnèrent pas sa résistance à ce qu'on appela la « colonisation » de la C.G.T. : ils profitèrent des troubles de l'après-guerre pour lui faire retirer tous ses mandats syndicaux. Ils allèrent jusqu'à le faire traduire devant une commission d'épuration ; il fut disculpé à l'unanimité en avril 1946, mais le résultat recherché fut obtenu : Cancouët était écarté de la vie militante active. Dans sa demi-retraite, il continua d'aider de ses conseils et de sa plume ses camarades décidés à défendre l'indépendance syndicale. Ils étaient nombreux à ses obsèques, les militants de la C.G.T.-F.O., non seulement ceux de sa génération, mais aussi ceux qui ont pris la relève. Voilà quelque dix ans qu'il avait assumé la direction de notre publication, et il en était fier. Il était le dévouement même, toujours prêt à servir sans se mettre en avant. Son effacement volontaire, son esprit de solidarité étaient appréciés de tous. Il. laisse des regrets unanimes, au Contrat social comme parmi ses compagnons de travail et d'action sociale. . ' .. i·, . - . ; , . . ·. . ·. ; - f .. : . . '· • .• leCOMJ?.i SO(UI rw11t l,istorifut tt crilÏIJHtJrs /Ails et dts iJüs Rédaction - Administration : 199, boulevard Saint-Germain, Paris 1• LITtré 12-81 Abonnements: voir tarif au dos de la couverture Le fâcheux retard de ce numéro de notre revue en dit plus long qu'un long discours : nos difficultés, un moment surmontées, empirent de nouveau. Les économies réalisées par le renoncement à toute publicité, pourtant bien modeste jusqu'alors, depuis plusieurs années, ensuite par les épurations successives de nos listes de services, sont largement compensées par les hausses de prix en toutes choses, nonobstant les indices officiels. Une nouvelle et dernière suppression de services a été réalisée à partir du présent n° 5. Sur l'augmentation récente du coût de la vie, qui se Biblioteca Gino Bianco répercute dans tous les prix de revient, nos lecteurs en savent autant que la rédaction du Contrat, laquelle est réduite à sa plus simple expression, de même que l'administration. Il devient impossible de diminuer d'un centime les frais de production. Toutefois nous comptons pouvoir sortir notre n° 6 à la fin de décembre. Il ne saurait être question de nous taire devant le scandaleux tableau de complaisance présenté par l'Occident désorienté en face du despotisme oriental à l'occasion jubilaire de l'insurrection d'Octobre. Plus que jamais il importe que des voix libres, fussentelles isolées, se fassent entendre pour dire la vérité, pour demander justice. Vérité sur la révolution russe et le régime soviétique. Justice pour les victimes innombrables de ce régime oligarchique et obscurantiste qui a trahi ses principes, renié son programme, et qui prétend ~ncore servir de modèle à l'humanité tout entière. IMPRIMERIE FABRE ET C1 e 1, rue Cels - Paris-14(1 Le directeur de la publication : Marcel Body Dl:pôt légal : 411 trimestre 1967 1mprimé n France

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